Ça s’est produit un soir de juin, alors que mon chum, Jean-Philippe, et moi étions tous deux âgés de 26 ans. il revenait tout juste d’un voyage d’affaires de trois jours à l’extérieur de la ville. Comme il était fatigué, il s’est couché sur le sofa pour regarder la télé pendant que je cuisinais, assise à la table.

Soudain, en me retournant vers lui, j’ai vu qu’il était pris de convulsions. J’ai marché vers le sofa en lui disant que ce n’était pas une farce à faire. Je l’ai giflé quelques fois en lui répétant: «Arrête de niaiser, c’est pas drôle!» Je n’arrivais pas à comprendre ce qui se passait. Mon chum était en parfaite santé! Sous mon regard horrifié, il est devenu blanc, puis bleu, et j’ai bien vu que quelque chose n’allait pas. Je me suis emparée du téléphone et j’ai composé le 911.

Je n’avais jamais suivi de cours de premiers soins; tout ce que je savais, c’était ce que j’avais vu à la télévision. En suivant les conseils de la téléphoniste du 911, j’ai entamé les manœuvres de réanimation en attendant l’arrivée des secours. Elle m’a dit de me coucher mon amoureux sur le dos et d’appuyer à deux mains sur sa poitrine, le plus fort possible, en comptant. Mes souvenirs sont un peu flous, mais je crois avoir compté jusqu’à 40 avant que les pompiers ne défoncent la porte de notre appartement. Ils devaient être une dizaine. En quelques secondes, ils ont tassé tous les meubles, fait entrer le chariot de réanimation et retiré les vêtements de Jean-Philippe. Ils ont placé des poignées sur son torse et, quelques décharges plus tard, son cœur a recommencé à battre. Mais mon amoureux restait inconscient. L’un des secouristes m’a dit d’appeler quelqu’un pour m’aider, moi, avant toute chose, puis de communiquer avec un membre de la famille de Jean-Philippe. J’ai téléphoné à mes parents, puis à son père. Les secouristes ne voulaient pas que je conduise. Ils m’ont donc fait monter avec eux dans l’ambulance.

Ce soir-là, je devais souper avec une amie, mais j’avais annulé à la toute dernière minute pour passer du temps avec mon chum. J’essaie encore de ne pas trop penser à ce qui serait arrivé si je n’avais pas été à la maison. En tout, son cœur a refusé de battre pendant 11 minutes.

Dans l’ambulance, j’ai fait des appels. «Salut, Jean-Philippe a fait une crise cardiaque. On s’en va à l’hôpital.» On m’a raconté que j’étais anormalement calme. Arrivée à l’hôpital, j’ai dû expliquer au personnel médical qu’il ne s’agissait pas d’une histoire de consommation excessive de drogue ou d’alcool. Tout le monde était sceptique, vu le jeune âge et l’absence de maladie de Jean-Philippe. Pendant ce temps, lui était toujours dans un coma profond. Il a été envoyé aux soins intensifs afin de faire baisser sa température corporelle et d’ainsi protéger ses organes vitaux.

Mes parents sont arrivés à l’hôpital, suivis de ceux de mon copain. Cette nuit-là, je n’ai pas dormi. J’ai écrit un message de groupe à ses amis proches et à sa famille. Le lendemain, on devait être une vingtaine dans la salle d’attente. À partir de ce matin-là et jusqu’à la fin de son coma, je n’ai jamais été seule. Personne ne pouvait aller dans la chambre de mon chum, mais nos proches tenaient quand même à être présents. Pour ma part, j’avais droit à une visite de 15 minutes par heure, que je partageais avec ses parents.

On m’a dit plus tard que chaque soir, en rentrant chez eux, nos amis se demandaient si cette nuit serait sa dernière. Les médecins, qui ne savaient pas dans quel état Jean-Philippe serait à son réveil, nous préparaient au pire. Mais pour une raison que j’ignore, je n’ai pas pensé une seule seconde que c’était peut-être la fin. J’étais certaine qu’il s’en sortirait et je me sentais prête à m’adapter aux conséquences.

Puis, un bon matin, je suis arrivée à l’hôpital et Jean-Philippe était assis dans son lit, bien réveillé et de bonne humeur, après 11 jours de coma. Il avait perdu 25 livres et sa voix était enrouée à cause de l’intubation, mais il ne gardait aucune séquelle, sinon une légère perte de mémoire. Les trois jours précédant son accident s’étaient effacés. Les médecins n’ont jamais réussi à établir la cause de son arrêt cardiaque. Ils ont conclu qu’il s’agissait d’une mort subite due à une arythmie spontanée. On lui a installé un défibrillateur en nous assurant qu’il n’y avait aucune chance que ça se reproduise, mais qu’il valait mieux ne rien laisser au hasard.

Une semaine après son réveil, il a obtenu son congé. C’était juste un peu avant la Fête nationale, il y a six ans. Pour célébrer sa sortie, ses amis, sa famille et moi, on lui a organisé un party de résurrection. Tout comme lors de son séjour à l’hôpital, son retour à la maison s’est fait dans une ambiance festive, en compagnie de ceux qu’il aime.

Si j’ai gardé mon calme tout au long de cette épreuve, j’ai souffert par la suite d’un choc post-traumatique assez sérieux. Tout a lâché. Je n’arrivais plus à me concentrer, j’avais des TOC, je souffrais d’anxiété. J’avais peur de le laisser seul. Je me réveillais la nuit pour vérifier s’il respirait encore, j’étais constamment en hypervigilance. Puisque Jean-Philippe ne se souvenait de rien, je n’ai pu partager avec lui ce que j’avais vécu. J’ai donc compté sur l’aide et l’écoute de celles et de ceux qui avaient traversé ces deux semaines avec moi. Après avoir pris soin de mon chum, j’ai dû prendre soin de moi et me remettre sur pied.

Aujourd’hui, on a un enfant. Si cette histoire a fait en sorte que je suis souvent sur le qui-vive quand mon fils ne va pas bien, je sais au moins qu’en cas d’urgence, je peux garder mon calme et rester positive. Grâce à cette expérience terrifiante, je me suis découvert une force que j’ignorais. Et ça, ça me rassure.

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Illustration: Thaïla Khampo


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