Le printemps était déjà entamé quand j’ai passé la commande. Avril a toujours été un de mes mois favoris. Sa terminaison est douce à l’oreille, et le petit coup au palais que la langue doit faire à la toute fin quand on prononce ce mot m’a toujours plu. Son commencement, qui correspond à la première lettre de l’alphabet, est beau. J’aime les chiffres pairs, et je suis certaine que si le A en était un, nous pourrions le diviser par deux. Êtes-vous toujours là? Je sais, c’est particulier.

Pour ajouter à cet amour que j’ai pour ce mois, j’ai eu ma première fille un mardi d’avril, il y a 18 ans. Est-ce que je peux vous dire que j’étais heureuse que ce soit un mardi? Mes mardis sont de couleur pêche. C’est beau. Et doux. Comme la petite peau fripée d’un nouveau-né.

Ma belle allait avoir 15 ans, et je cherchais sur Internet quelques idées cadeaux. J’étais heureuse que ce soit si facile. Parce que moi, à 15 ans, j’aurais voulu qu’on me dise pourquoi je voulais mourir.

J’ai vu des psychologues, des psychiatres. J’ai avalé des pilules. Beaucoup. Énormément. Tant qu’on me disait que la tempête allait se calmer dans ma tête, j’étais prête à tout avaler. J’ai fait des convulsions quatre heures après la prise d’un médicament. Je pensais que c’était un simple effet secondaire. J’ai su plus tard que c’était un symptôme de toxicité. J’acceptais quand même tous les diagnostics qu’on me donnait l’un après l’autre: bipolarité, anxiété généralisée, trouble de la personnalité. Parce qu’enfin, on allait pouvoir me soigner. Mais ils étaient tous erronés. J’ai rapidement senti qu’on ne savait pas ce que j’avais.

Puis, la vie ne m’a pas attendue. La vie a continué de faire sa vie. Et j’ai eu assez de courage pour poursuivre la mienne. Mais ce grand vide ne m’a pas lâchée durant des années. Mes incompréhensions m’ont encore menée à une dépression majeure. Mais qu’est-ce que je fais ici? Où est ma place? Pourquoi ai-je de la facilité à faire certaines choses extraordinaires, alors que les choses ordinaires font grimper mon anxiété? «Non, Mélissa, ce n’est pas une catastrophe si la pompe numéro 2 – celle que tu choisis toujours – est prise. Tu peux mettre de l’essence quand même à partir des autres.»

À 38 ans, j’avais encore l’idée d’en finir, mais quelque chose me poussait à continuer et à exploiter mes talents pour m’aider à vivre. J’étais déjà, depuis quelques années, propriétaire et artiste de Rizada, mon entreprise de peinture sur porcelaine. On me félicitait pour mon art, si en demande. Je paraissais heureuse, éloquente, pétillante. Pourtant, je mourais encore à petit feu en dedans. J’ai souvent tapé dans la barre de recherche de mon portable: «Comment se faire des amis» et «Comment devenir charismatique». Parce que ma relation avec les autres était et est encore un beau mystère.

Le printemps était déjà entamé quand, devant mon portable, j’ai eu la joie de trouver le cadeau pour mon ado. Puis, en continuant de naviguer, j’ai commandé le t-shirt «Différent comme toi», vendu au profit de la Fondation Véro & Louis. Je voulais montrer que, moi aussi, j’étais sensible à la cause. Et, par curiosité, j’ai voulu en apprendre plus sur l’autisme. C’est en lisant les caractéristiques du profil féminin que mon cœur s’est serré. J’étais autiste, j’en étais certaine. Grâce à un t-shirt, je venais d’élucider 38 ans de questionnements. J’ai tout de suite pris un rendez-vous dans une clinique privée de Montréal. Et j’ai attendu quelques semaines, en ayant peur de me tromper. Le 23 juin 2018, après une longue évaluation, un spécialiste a prononcé le diagnostic: femme autiste de haut niveau de fonctionnement (Asperger). J’ai fondu en larmes. Et j’ai eu peur qu’on doive sortir les kayaks et les canots: j’étais un torrent sur deux jambes. Un beau cours d’eau rempli de soulagement. Et quelques jours après, la tempête est arrivée. On m’avait avertie que j’allais, malgré moi, revisiter le passé et le regarder d’un autre œil. Et je l’ai fait avec amertume. Comment mon entourage avait-il pu fermer les yeux sur cette différence? Simplement parce que j’étais capable de regarder mes proches dans les yeux? J’ai ressenti un grand sentiment d’urgence. Il fallait que je mette en lumière ce côté du spectre, ce qui m’a entre autres incitée à écrire le roman Belle comme le fleuve. Trois ans après le diagnostic, les défis sont encore là. Évidemment. Mais j’ai 41 ans, je suis toujours en vie, je suis maman, entrepreneure, et, enfin, mon rêve d’être autrice s’est réalisé. Parce que je ne suis plus en quête: j’ai mon diagnostic.

Je suis une femme différente. Comme toi. 

Vous vivez une histoire particulière et aimeriez en faire part à nos lectrices? Une journaliste recueillera votre témoignage. Écrivez à Laurie Dupont, à [email protected].

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