Je rentre de la maternité ventre à terre : je veux passer prendre mes deux grands et les emmener au plus vite voir leur petit frère. J’expédie ma mère, j’attrape la doudoune fétiche de Céleste, 8 ans, et je rectifie la coiffure d’Alphonse, 10 ans : on est prêts, on fonce. Une demi-heure plus tard, ils se jettent dans les bras de Julie, ma compagne, qui les couvre de baisers. Ils s’adorent: elle a été leur baby-sitter pendant de longues années. Et je dois accorder ce point à mon ex-femme, Marion, qui l’avait recrutée : Julie est un cadeau de la vie. Persuadée que je ne saurais pas faire, Marion décidait de tout, elle était un drôle de mix entre Shiva et Wonder Woman. Je l’ai longtemps perçue comme ça: Marion m’a bluffé, dès le premier soir de notre rencontre.

Infirmier pédiatrique, j’avais obtenu de ma direction de passer un an à Bordeaux. Après des années de grisaille parisienne, le soleil allait me faire le plus grand bien… Et c’est la foudre qui m’est tombée dessus : dans un bar du centre-ville, j’aperçois Marion de loin. Grande, blonde, élégante, pleine d’une assurance renversante, elle ressemble trait pour trait à l’idée que je me fais de la femme idéale – principalement parce qu’elle est à mille lieues de ce que je suis. Timide, gauche, je la regarde fondre sur moi sans bouger : je n’en reviens pas, mais elle m’offre un verre. Étudiante en droit ambitieuse, Marion est du genre à savoir toujours ce qu’elle veut. Très vite, nous ne nous quittons plus. Et sans attendre, elle veut que je rencontre sa famille : dans ce milieu de notables bordelais, on fait les choses dans les règles de l’art. Je rencontre donc ses parents et j’ai comme un pressentiment : entre eux et moi, ça risque d’être compliqué… « Quand on est infirmier, il y a des passerelles, je suppose, pour devenir médecin ? », me demande son père, cinq minutes à peine après m’avoir serré la main. Je ne changerais de métier pour rien au monde : c’est une vraie vocation. Mais pour Marion, infirmier, c’est « en attendant mieux ». Et en ce qui la concerne, « mieux », c’est ce grand cabinet d’avocats parisien qui lui tend les bras. Me voilà donc reparti vers Paris…

Une bouffée d’oxygène

Trois ans plus tard, Céleste et Alphonse sont là. Marion a choisi les prénoms, mais je m’en suis accommodé. Je suis un peu moins convaincu par notre mode de vie. Marion a des journées à rallonge, j’ai souvent des horaires de nuit : nous voyons peu les enfants, et sollicitons trop ma mère à mon goût. Pour une fois, je finis par l’emporter, et une baby-sitter fera désormais partie intégrante de notre vie. Je ne la croise que rarement, mais je sais les enfants heureux avec Julie et ça me suffit amplement. J’en ai la preuve un soir où je rentre plus tôt : l’appartement est un champ de bataille, Céleste, Alphonse et Julie ont le souffle court, les cheveux hirsutes, les joues rouges… J’interromps, visiblement, une grande partie de polochon. Moi qui me désolais de l’éducation stricte que Marion imposait à la maison, j’en ris avec eux : mes enfants ont enfin des moments où ils respirent ! Je ne me doutais pas une seconde que, moi aussi, j’allais bientôt avoir droit à mon bol d’air…

«Les week-ends avec Marion me pèsent et nos rapports, déjà froids, se tendent. je guette, en apnée, le lundi qui me permettra de revoir Julie.»

Malgré toutes nos différences, je n’ai jamais voulu quitter Marion. Je n’ai même jamais osé y penser. Elle était, pour moi, ce que je n’aurais jamais pu espérer – j’avais, à ce moment-là, une estime de moi assez mince… Mais le soir où elle m’annonce qu’elle va prendre des parts dans un cabinet londonien, je ne peux m’empêcher d’être soulagé : les enfants et moi aurons toute la semaine pour vivre comme bon nous semble. Ou presque… Quand elle repart le dimanche soir, Marion prend toujours bien soin de me laisser une liste de choses à faire. Elle gère toujours, mais à distance. Cela dit, grâce à son nouveau salaire, je peux lâcher mes horaires de nuit. Je croise donc Julie tous les jours… Au fil des semaines, nous nous rapprochons. Les dix minutes réglementaires de « transmission » deviennent bientôt une demi-heure. Le compte rendu de sa journée avec les enfants est expédié, mais nous passons le reste du temps à parler de nos passions communes. Elles sont nombreuses : Julie veut devenir institutrice et, comme moi, elle adore les enfants. C’est une dévoreuse de livres aussi et nous communiquons par eux : je lui prête des romans d’amour, elle me les rend en ayant pris soin d’en surligner quelques passages. À chaque fois, je rougis comme un collégien, mais je ne moufte pas : j’ai bien trop peur du malentendu… de Marion sans doute aussi, pour envisager quoi que ce soit. Pétries de littérature romantique, mes rêveries, pour un temps, me suffisent. Assez vite, pourtant, le ciel s’assombrit : les week-ends avec Marion me pèsent, et nos rapports, déjà froids, se tendent. Je guette, en apnée, le lundi qui me permettra de revoir Julie. Paralysé par mes peurs et mes principes, j’aurais pu rester longtemps dans cette impasse… Mais il faut croire que Marion s’y trouvait aussi : elle a trouvé notre issue de secours.

Un homme libéré

Fidèle à ses habitudes, ce dimanche-là, elle va droit au but : « Je te quitte, Tristan, j’ai rencontré quelqu’un. Bien entendu, tu peux rester dans l’appartement. Les enfants y sont bien, c’est primordial. Je te propose de les prendre avec moi un week-end sur deux et toutes les vacances scolaires. Si ça ne te convient pas, tu peux prendre un avocat. » J’ai fait « oui » de la tête, sans réussir à articuler un mot. Marion m’avait mis en cage, dix ans plus tard elle me libérait. Ou plutôt : je m’étais laissé mettre en cage, et j’allais retrouver ma liberté. Mon cœur battait à tout rompre : ça fiche la trouille, la liberté. Mais quand cette liberté s’appelle Julie, ça donne aussi des ailes…

J’ai mis encore des mois – évidemment – à oser proposer à Julie de rester dîner, après avoir couché les enfants. Mais j’ai fini par le faire. Deux semaines avant, je prévoyais tout au millimètre près : ce que je nous ferais à dîner, la musique que je passerais, le roman que je lui offrirais… Et me voilà, le jour J, totalement pétrifié au milieu du salon – vraiment, je me serais giflé ! Heureusement pour nous deux, Julie est un peu plus aventurière que moi. Je suis devant mon frigo, j’attrape la bouteille de blanc, je me retourne : Julie est là, juste derrière moi. Elle a ces si jolis yeux qui brillent, ce sourire qui lui mange le visage et qui m’aspire… Elle m’embrasse : « Tu comptais attendre combien de temps, encore ? » On a éclaté de rire. On rit beaucoup, avec Julie – encore aujourd’hui. Elle met de la joie dans ma vie… Et elle me fait confiance : le prénom de notre enfant, c’est moi qui l’ai choisi.

Cet article est paru sur elle.fr.

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