Mon plus grand rêve a toujours été de fonder une famille. Lorsque j’ai appris que j’étais enceinte, je croyais pouvoir enfin vivre ce bonheur. Trois jours après la naissance de Liam, le médecin m’a toutefois annoncé ce que je redoutais: mon fils souffrait de glaucome congénital, une maladie que je connaissais trop bien pour être née moi-même avec cette malformation des yeux. Cette nouvelle m’a causé un choc. Je me sentais d’autant plus coupable que je savais ce qui l’attendait: les gouttes pour les yeux, les séjours à l’hôpital, les chirurgies, le risque de perdre la vue…

Au cours de ma vie, j’ai subi une dizaine d’interventions pour faire baisser la forte pression dans mes yeux et j’ai reçu deux greffes de la cornée, dont l’une tout juste avant de tomber enceinte. Lorsque Liam a eu six mois, mon corps a rejeté les greffons. Puisque mon fils était encore bébé et qu’il était souvent hospitalisé à cause de son glaucome, mon médecin m’a conseillé d’attendre avant de recevoir une nouvelle greffe. Je voyais flou, mais j’étais tout de même fonctionnelle. J’ai donc attendu un an avant de subir l’opération qui m’a permis de retrouver une bonne vision.

Deux semaines après cette intervention, alors que j’essayais d’endormir Liam, j’ai fermé les yeux. Mais quand je les ai rouverts, je ne voyais plus rien. J’ai cligné des paupières en paniquant, mais tout ce qu’il y avait devant moi, c’était un brouillard blanc opaque. Je me suis rendue à l’hôpital, et le médecin a constaté que la pression dans mes yeux était anormalement élevée. Encore une fois, j’avais rejeté les greffons.

Dans les mois qui ont suivi, j’ai subi sept interventions chirurgicales, ma rétine a décollé, et l’infection s’en est mêlée. Les médecins n’osaient plus toucher à mes yeux. J’avais l’impression que ma vie s’écroulait comme un château de cartes. Je n’arrivais plus à faire une simple lessive ni même à préparer les repas pour mon enfant. La lumière me faisait horriblement mal aux yeux. Je pouvais m’enfermer pendant des heures dans ma salle de lavage pour ne plus voir ce voile blanc.

Mon chum a vécu cette épreuve aussi difficilement que moi. Pour lui, c’est comme si notre vie était finie. J’avais déjà le poids de ma tristesse; porter la sienne était au-dessus de mes forces. On était comme deux noyés, incapables de s’entraider. Notre couple n’a pas tardé à voler en éclats. Je réalise aujourd’hui que perdre la vue n’est pas ce qui a été le plus difficile… c’est plutôt d’avoir transmis ma maladie à mon fils et de me séparer de son père.

Après notre rupture, je suis allée habiter quelques mois chez mes parents. Sur la terrasse, j’entendais chanter les oiseaux. Au fil des semaines, je suis parvenue à distinguer les différentes espèces par leur chant. Malgré ce que j’avais perdu, j’avais l’impression de gagner quelque chose d’autre. J’ai toujours été quelqu’un d’optimiste. Même aujourd’hui, j’ai encore espoir que des percées médicales me permettront de revoir un jour. J’ai réalisé que je m’étais éloignée de la fille positive que j’étais. J’accordais de l’importance à des choses superficielles: l’apparence, l’argent, le succès.

J’ai dû réapprendre à vivre. Une bonne année s’est écoulée avant que j’ose sortir seule de chez moi. Au printemps, il y a les flaques d’eau, en hiver, les bancs de neige. Parfois, j’ai encore du mal à trouver mon chemin parmi les bacs à recyclage. Il m’arrive aussi de foncer dans les murs. J’ai décidé d’en rire. Au début, j’étais embarrassée, mais plus maintenant. Je ressens plutôt de la fierté pour tout ce que j’accomplis chaque jour. Ce qui me manque le plus, c’est la liberté. Sortir spontanément faire une promenade et m’arrêter boire un verre sur une terrasse. Il y a aussi le deuil de ne pas voir mon fils grandir, de ne pas pouvoir l’accompagner autant que je le voudrais dans les différentes étapes de sa vie. J’ai appris à lâcher prise.

Ce qui m’a sauvée, c’est de pouvoir en parler. C’est pourquoi j’ai décidé de donner des conférences dans les écoles. Pour raconter mon histoire et échanger avec les autres. On a tous nos traumatismes, nos moments de découragement. Je sais aujourd’hui que, quelles que soient les épreuves qu’on traverse, on peut toujours en retirer du bon.

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