En 2017, l’accouchement de ma fille a été d’une violence inouïe. J’ai même fini par refuser que la médecin entre dans ma chambre après plusieurs comportements douteux de sa part, son attitude négligente et des touchers vaginaux pratiqués sans mon consentement. Pour tout vous dire, cette femme ne m’a jamais adressé la parole.

La première fois que je suis tombée enceinte, j’avais 25 ans. C’était ce qu’on peut appeler «un bel accident». J’ai appris la bonne nouvelle le 17 décembre 2003, et je me souviens encore de l’expression de mon conjoint de l’époque quand j’ai prononcé la phrase: «On va avoir un bébé.» Le bonheur dans ses yeux a vite fait de dissiper mes doutes. J’allais être maman et j’avais la meilleure personne à mes côtés pour vivre cette incroyable aventure.

À l’époque, je travaillais comme secrétaire médicale à l’hôpital Royal Victoria. C’est donc là que j’ai choisi de faire mon suivi de grossesse. Le 7 janvier 2004, j’ai eu un premier rendez-vous pour voir un gynécologue. J’attendais ce rendez-vous avec impatience, car je savais que l’étape suivante serait l’échographie tant attendue.

«Si seulement j’avais su que les violences obstétricales existaient...»

17 janvier 2004, je suis dans mon appartement de l’avenue Duluth. Une journée très ordinaire. Soudain, je me mets à saigner. Panique. Réflexe naturel, j’appelle ma mère. «Manmi, je saigne, ce n’est pas normal!» Elle me dit de me rendre à l’urgence. Je joins mon conjoint pour l’informer de la situation. Il est au travail à l’autre bout du monde, sur la rive sud. J’appelle l’ambulance. Des crampes insupportables s’ajoutent aux saignements. À mon arrivée à l’urgence, je perds presque connaissance tellement j’ai mal. Mais on me demande de patienter. Je ne comprends pas pourquoi mon cas n’est pas prioritaire. Je suis en train de perdre mon bébé; je le sens au plus profond de mon être.

Le Royal Victoria étant un hôpital universitaire, c’est un résident qui m’évalue. Il fait un rapide examen gynécologique et me fait passer des prises de sang. Je dois encore patienter. Les crampes sont toujours intenses, et les saignements, toujours abondants. Une heure passe… bientôt deux. Le médecin vient à ma rencontre. Mes prises de sang sont normales. Il me pose quelques questions et m’informe que c’est une fausse alerte, que je peux retourner à la maison, que les saignements et les crampes devraient s’estomper. Il repart et me laisse seule. Je me lève et me dirige vers la salle de bain pour me changer. J’ai mal. Des larmes d’incompréhension ruissellent sur mes joues. Une fausse alerte, vraiment? Je m’assois sur la toilette, en douleur. Je redoute le pire si je quitte l’hôpital.

Après quelques minutes, je me relève, et c’est là que mon monde bascule. Une flaque de sang se retrouve sur le sol et, au milieu de celle-ci, une petite masse mauve. Je comprends tout de suite que j’ai perdu mon bébé. Mes premiers cris sont inaudibles; la douleur est trop intense pour être libérée. Je m’allonge sur le sol à côté de ce petit cœur qui s’est arrêté de battre, et, dans un abandon total, un cri violent rompt le silence.

«Je ne comprends pas pourquoi mon cas n’est pas prioritaire. Je suis en train de perdre mon bébé; Je le sens au plus profond de mon être.»

J’ai hurlé de toutes mes forces. Une infirmière est entrée dans la salle. Mon conjoint la suivait. Il m’a prise dans ses bras. J’étais inconsolable. L’infirmière m’a dit qu’il ne fallait pas que je m’en fasse. Que ça arrivait souvent lors d’une première grossesse et que ça se produisait plusieurs fois par jour. «Just another day at the office», comme on dit. Cette femme, qui semblait en avoir vu d’autres, a ramassé le fœtus avec des gants et l’a jeté dans les toilettes. Puis elle a tiré la chasse d’eau sous mes yeux.

On ne survit pas à une expérience de la sorte sans en payer le prix psychologique. Les cicatrices sont invisibles, mais les traumatismes, bien réels. Replonger dans mes souvenirs pour vous raconter mon histoire est pénible, difficile, mais nécessaire. La plupart des femmes ne prennent même pas conscience qu’elles sont victimes de violences obstétricales tellement prime le culte de la médecine omnipotente. Aucune de nous n’est à l’abri de ces violences, et encore moins les femmes vulnérables et racisées. Pendant longtemps, j’ai été persuadée que mon cas était isolé, mais dernièrement, en lisant les témoignages sur le site StopVOG.org, j’ai compris que je n’étais pas seule et surtout qu’il fallait briser le silence avant qu’il ne nous brise. Pour sauver des vies, des âmes et des cœurs, le silence n’est plus une option. Pour la dignité et le respect du corps des femmes, il faut agir et le protéger.

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