Je rêvais de m’envoler pour Rome depuis plusieurs années. Tout au long de ma vingtaine, au fil des amis, des amoureux, de l’école et des projets, j’ai caressé l’espoir d’un jour venir vivre ici, dans le pays où est né mon grand-père, avant de tout quitter à 27 ans lui aussi pour émigrer au Canada. J’ai toujours eu envie de faire le voyage contraire au sien et de reconnecter avec la culture que mon père, son fils, n’a jamais connue. Né au Québec, il s’était toujours promis de visiter l’Italie de ses ancêtres pour son 50e anniversaire, mais le cancer l’a emporté à l’âge de 48 ans. Habiter ici, c’était une façon de concrétiser son rêve et d’en apprendre un peu plus sur celle que je suis. J’ai l’immense chance d’avoir la citoyenneté italienne, un travail que je peux exercer n’importe où et une situation financière assez stable, et j’ai toujours eu la ferme intention d’en profiter. J’attendais juste le bon moment.

Il y a quelques mois, c’est autour d’une bouteille de vin au parc Laurier que ma meilleure amie et moi avons eu la discussion qui a tout déclenché. Déçue des hommes, heureuse au travail, mais un peu maussade, j’avais l’impression de tourner en rond. Je me souviens encore de la façon dont elle m’a fait réaliser qu’il était temps, une bonne fois pour toutes, de faire de mon rêve une réalité. Elle ne voulait pas me voir partir, mais elle savait que j’en avais besoin. «Si tu consacrais autant d’énergie à tes projets qu’à tes dates Tinder pourries, m’a-t-elle lancé, tu serais déjà partie!» Ce soir-là, de retour chez moi, j’ai pris la décision de m’en aller. C’était au début de l’été.

Durant les mois qui ont suivi, j’ai tout préparé. J’ai entrepris les démarches pour obtenir mon passeport italien, commencé à chercher un appartement là-bas et engrangé des contrats supplémentaires, en plus de mon travail, pour mettre de l’argent de côté. Il ne me restait plus qu’à sous-louer mon appartement et à trouver une famille à mon chat. Un beau soir d’été, alors que je mangeais avec des amies sur ma terrasse, nous nous sommes mises à parler avec le voisin et ses invités qui soupaient, eux aussi, à la belle étoile. De fil en aiguille, je leur ai expliqué mon projet. L’un des amis de mon voisin, un Français nouvellement arrivé, se cherchait justement un appartement meublé. Son autre ami, lui, voulait un chat pour ses enfants. Dans un concours de circonstances quasi miraculeux, le premier a repris mon bail en achetant tous mes meubles et le second a adopté mon félin. Il m’était maintenant impossible de revenir en arrière.

Avec le recul, je réalise que je mettais en place les fondations de ce grand projet de vie depuis longtemps. Ces dernières années, j’ai beaucoup travaillé sur moi-même en prenant soin de ma santé mentale, physique et financière. Sans le savoir, je me préparais tranquillement à devenir la personne que je suis aujourd’hui, prête à vivre cette énorme transition. Mon dernier été montréalais s’est déroulé comme dans un rêve, rempli d’amis, de séjours au chalet de ma mère et de beaux souvenirs que je chérirai longtemps. J’étais prête et je suis partie en paix.

Je me suis envolée pour Rome le 23 septembre dernier. J’y ai loué un petit studio dans le quartier Pigneto, souvent comparé à Brooklyn pour son mélange éclectique d’habitants. À mon arrivée, le ciel était gris, les murs étaient recouverts de graffiti et j’étais un peu déboussolée. Pour me familiariser avec l’endroit, j’ai décidé de partir m’y balader à pied. Anxieuse, sans vraiment y croire, je me suis dit que si j’étais au bon endroit, l’univers m’enverrait un signe. Et mon signe, je l’ai eu. J’en ai même eu plusieurs. À moins de cent mètres de chez moi, je suis entrée dans une belle librairie doublée d’un joli petit café. En fouillant dans les livres en italien, dont je ne parlais alors pas un mot, j’ai réalisé que j’étais dans une librairie féministe. L’une des employées est venue m’offrir son aide et nous avons discuté un peu. Après avoir entendu mon histoire, elle m’a conseillé une bande dessinée en m’informant qu’un festival de littérature féministe se tiendrait sur la petite piazza au coin de ma rue. Ce vendredi-là, je suis retournée y prendre un verre de spritz, histoire de sortir un peu de chez moi. Une femme est venue me demander si ses amies et elles pouvaient s’asseoir avec moi. Elles étaient toutes les trois auteures, vivaient dans le quartier et nous nous sommes rapidement trouvé des points communs. J’ai passé tout le week-end à explorer le festival, à écouter des conférences auxquelles je ne comprenais presque rien et à profiter du soleil en bonne compagnie. J’étais chez moi, je n’en avais plus le
moindre doute.

Pigneto est un quartier vivant, unique, où on ne se sent jamais vraiment seul. Les rues débordent de gens de tous les âges, partout sur les terrasses, qui rient fort et discutent chaleureusement. Je passe tous mes matins à étudier l’italien. En après-midi, je m’installe à la librairie ou dans un café pour travailler. Je reste en contact étroit avec mes amis de Montréal et j’apprivoise la vie de pigiste dans mon nouveau pays. Éventuellement, je voyagerai, question de profiter de la proximité des nombreux pays magnifiques qui m’entourent. Mais pour l’instant, je me contente de m’imprégner du quotidien, de découvrir mon quartier et de bâtir des amitiés. Je prévois rester quelques années, au moins.

Je suis bien.