Je n’ai jamais été chanceuse avec les hommes. Mais alors, vraiment jamais. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours attiré les types mauvais ou pervers. Le mec marié, celui qui m’a trompée, celui qui m’a frappée avant de finir en prison… Je les ai tous collectionnés. Chaque fois, j’étais persuadée d’avoir trouvé l’homme de ma vie. Et chaque fois, je déchantais.

Après des années de déceptions, j’ai fini par comprendre que le prince charmant n’existait pas. Ma vie, il fallait que je la bâtisse seule, en ne comptant que sur moi-même. Or, c’est justement à ce moment-là que j’ai connu Samuel. Entre nous deux, l’attirance a été immédiate, instantanée, chimique. Dès que je suis entrée dans ce bar du centre-ville de Montréal, je l’ai repéré, lui, ce beau gars avec un sourire à faire fondre une banquise.

Visiblement, je ne le laissais pas indifférent non plus, car pendant de longues minutes il m’a dévisagée. Au bout d’un moment, j’ai calé mon verre, pris mon courage à deux mains et je suis allée lui dire bonjour. La nuit que nous avons ensuite passée ensemble a été torride, passionnée et sensuelle comme rarement ça m’était arrivé. Puis, d’autres nuits ont suivi, tout aussi intenses.

Peu à peu, on s’est livrés l’un à l’autre. Il m’a expliqué qu’il était séparé et qu’il avait déjà trois enfants (de deux femmes différentes), m’assurant du même souffle qu’il en voulait cinq, et que les deux prochains, c’est avec moi qu’il les ferait un jour. Puis, il a ajouté, mutin: «Mais on se mariera avant, n’est-ce pas, mon cœur?»

Souvent, je l’entendais parler au téléphone avec ses fils ou sa fille. Il était doux, attentionné, il s’inquiétait de leurs devoirs et les écoutait raconter leurs journées à l’école. Quand ils avaient besoin de lui, il n’hésitait pas à tout laisser tomber, y compris moi. Ça me décevait un peu, mais ça forçait aussi mon admiration. Quel père dévoué, me disais- je. C’est avec un homme comme ça que je rêvais de fonder une famille…

À l’époque, j’allais avoir 33 ans et je craignais de ne jamais réussir à me marier et à avoir des enfants. Mes parents sont très traditionnels et, pour eux, si je n’étais ni mariée ni mère à mon âge, ça signifiait que j’allais rester vieille fille pour le reste de mes jours. Sans blague.

Avec Samuel, j’ai senti mon cœur s’emballer. Et puis, il y a eu la fameuse nuit du 6 avril. Une nuit de passion totale, où nos corps nous ont entraînés encore plus loin dans le plaisir. Jusqu’au moment où – paf! – le préservatif a percé.

Je savais que j’en étais au 14e jour de mon cycle et que ce n’était vraiment pas le bon moment pour faire l’amour sans condom. Dès le lendemain matin, j’ai donc foncé à la pharmacie pour acheter une pilule du lendemain, justement. Mais la nature avait déjà agi et, sans le savoir, je faisais partie du pourcentage minime de femmes pour qui le médicament ne réussit pas à prévenir une grossesse. Je savais bien que ce n’était pas un bon timing. Samuel sortait à peine d’une séparation, et nous nous étions rencontrés seulement deux mois auparavant. Malgré tout, j’étais sereine quand je lui ai annoncé la nouvelle. J’étais persuadée qu’il ne me laisserait pas tomber. Que nous trouverions une solution ensemble, tous les deux.

«Félicitations», s’est-il contenté de me lancer froidement, le regard accusateur, lorsque je lui en ai parlé. J’ai senti des larmes de colère me monter aux yeux. Comme si j’étais tombée enceinte toute seule, par l’opération du Saint-Esprit! Comme si, surtout, j’avais fait exprès de faire ce bébé dans son dos!

Les jours suivants, je me suis
 sentie déchirée. Samuel a aussitôt
 été très clair: il ne voulait pas de ce 
bébé… du moins pas à ce moment-
là. Il a tout essayé pour me per
suader d’avorter: il m’envoyait des 
textos languissants («Si tu te fais avorter, on a une chance, toi et moi»), puis menaçants («Si tu gardes le bébé, ne compte pas sur moi pour te soutenir»). Jusqu’à ce qu’il m’écrive sans ambages: «C’est moi ou lui. Choisis.»

Toute cette conversation s’est déroulée par textos, car à partir du jour où Samuel a su que j’étais enceinte, il a refusé de me voir. À force de subir une telle pression, j’ai fini par craquer et j’ai pris rendez-vous dans une clinique. Mais lorsqu’on m’a demandé: «Êtes-vous bien sûre que c’est ce que vous désirez?» il s’est produit un déclic en moi. En fait, non, je n’étais pas sûre du tout. Au contraire. Au cours des semaines suivantes, j’ai beaucoup réfléchi. Et j’ai fini par comprendre que la seule raison pour laquelle je voulais me faire avorter, c’était par amour pour Samuel. Mais peut-on vraiment parler d’amour si l’être aimé nous force à poser un tel geste? Pourrais-je vraiment passer par-dessus cet avortement, l’oublier et reprendre ma relation avec Samuel comme si de rien n’était? La réponse était non. Parce que moi, je le désirais au plus haut point, cet enfant.

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J’avais l’impression que c’était ma dernière chance de devenir mère. Et je ne m’imaginais pas mourir sans avoir connu la maternité au moins une fois dans ma vie. En plus, ce bébé semblait avoir très envie de vivre. Il était là, malgré le préservatif et la pilule du lendemain. Il s’accrochait. C’était comme s’il s’imposait à moi. Le papa ne voulait pas assumer? Tant pis, je le ferais pour deux. Je ne lui demanderais rien. J’allais vendre mon condo et me débrouiller toute seule pour élever cet enfant, sans rien devoir à Samuel. J’ai vécu une grossesse difficile et solitaire. Le bébé n’allait pas bien, il présentait des anomalies au cœur et au cordon ombilical. Dans mon entourage, personne ne comprenait pourquoi je m’entêtais à le garder. Sans compter que Samuel refusait toujours de me parler.

Pourtant, plus le temps passait et plus j’étais convaincue d’avoir pris la bonne décision. Chaque matin, je me réveillais heureuse, avec une seule pensée en tête: je vais avoir un enfant. Je sentais qu’il y avait une petite vie en moi, un petit cœur qui battait de plus en plus fort dans mon ventre. Et que, désormais, nous étions deux.

J’ai accouché avec l’aide d’une seule accompagnatrice, un 23 décembre. C’était une petite fille, ce cadeau de Noël de moi à moi. Je l’ai appelée Esperanza. Ça veut dire «espoir» et je pense que ça lui va bien: à presque 18 mois, c’est déjà une battante, en parfaite santé, pleine de volonté et de foi dans la vie.

J’envoie régulièrement des photos de sa fille à Samuel. Il me répond parfois qu’il la trouve belle et qu’elle a l’air en forme. Il a refusé de la reconnaître. Je crois qu’il avait peur que je lui réclame une pension alimentaire. Depuis ma grossesse, entre nous deux, c’est le silence total. Mais ce silence, je le respecte et je ne vais pas chercher à le briser. J’avais promis à Samuel que je ne lui demanderais rien et je n’ai qu’une parole.

Financièrement, c’est difficile. Étant directrice artistique à la pige, j’avoue que décrocher de nouveaux contrats n’est pas de tout repos. Je dois m’occuper de mon travail, du bébé, de la maison, de la nourriture, du ménage. Bref, je suis seule pour tout faire… et je ne peux compter sur le soutien de mes parents, car ils habitent loin.

C’est épuisant, et mes nuits sont courtes mais, au moins, je sais pourquoi je me bats. Quand je regarde ma fille, avec son sourire craquant et sa joie de vivre, je me dis que la garder est la meilleure décision que j’ai prise. Quelqu’un a déjà dit qu’au bout du désespoir il ne reste que l’espoir. J’y crois profondément. Tout comme je crois qu’Esperanza et moi, nous nous en sortirons toujours. Parce que désormais, nous sommes ensemble.

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