Je m’en souviens comme si c’était hier. Installée depuis peu à Montréal, je célébrais le début des cours à l’université avec la petite troupe d’étudiants que je venais de rencontrer, lorsque j’ai aperçu Benoît dans le bar bondé. Nos regards se sont croisés et j’ai ressenti un choc, sachant d’instinct que cette rencontre allait être déterminante. Il s’est assis devant moi et nous avons passé le reste de la soirée à discuter, oubliant le monde autour de nous. Juste avant de nous quitter, nous avons échangé nos numéros de téléphone.

Le lendemain, j’ai retrouvé ma nouvelle bande d’amis à un concert en plein air, en espérant que Benoît serait de la partie. Je l’ai vu arriver et mon cœur a fait un bond, mais j’ai vite déchanté quand il m’a appris qu’il avait une blonde – qui vivait à Paris! – depuis trois ans… Ça ne nous a pas empêchés de nous embrasser quelques jours plus tard lors d’une soirée trop arrosée. Je n’en suis pas fière aujourd’hui, mais nous avions l’excuse de la jeunesse. Au fil des semaines, notre relation a pris de l’ampleur: nous n’étions pas officiellement ensemble, mais c’était tout comme. Nous ne nous quittions pas d’une semelle… jusqu’à ce que sa copine débarque à Montréal pour la relâche. Attristée et blessée, je n’attendais qu’une chose: qu’il la laisse. C’en était fini de notre bonheur sans ombre. Cette semaine-là, on s’est séparés comme on s’était trouvés: dans l’intensité. Je sortais tous les soirs et, lorsqu’on se croisait à l’université, je ne lui adressais pas la parole. Quoiqu’immature, mon stratagème a marché. 

Il a fini par m’embrasser à la volée, en me faisant promettre de l’attendre le temps qu’il mette les choses au clair avec sa copine, ce qu’il a fait rapidement. 

«Aussi importante soit-elle, notre histoire d’amour nous dépassait. Nous nous étions peut-être trouvés trop tôt.»

Nous avons enfin officialisé notre relation et, pendant un an, nous avons passé le plus clair de notre temps ensemble. Moi qui avais choisi d’habiter en colocation pour profiter pleinement de la vie d’étudiante, je ne rentrais chez moi que pour récupérer quelques vêtements de rechange avant de retrouver les bras de Benoît. Notre couple vivait mal avec le monde extérieur et, sans en avoir l’air, notre lien fusionnel commençait à nous peser. Nous manquions d’oxygène et nous nous disputions de plus en plus souvent. Aussi importante soit-elle, notre histoire d’amour nous dépassait. Nous nous étions peut-être trouvés trop tôt. Un soir pluvieux de novembre, nous nous sommes accrochés une énième fois, et ç’a été la fois de trop. Cette nuit-là, Benoît m’a quittée en m’assurant qu’il m’aimait. Sur le moment, j’ai accepté avec soulagement. À la lueur blafarde du jour, cependant, j’ai compris l’erreur monumentale que nous venions de faire. Je savais que c’était l’homme de ma vie et je n’étais pas prête à le laisser partir. Mais sa décision était irrévocable. Pendant un an, j’ai pleuré, le cœur brisé, et paradoxalement Benoît était là, chaque fois, pour me consoler. J’ai eu quelques histoires sans lendemain, mais rien n’y faisait: mon ex prenait toute la place.

Il me restait encore deux sessions à l’université, et j’étais prête, malgré tout, à attaquer la dernière année avec le sourire. Benoît a choisi ce moment précis pour m’embrasser. Après en avoir rêvé pendant plus d’un an et demi, j’ai été surprise par son geste. Les sentiments que j’avais tenté d’enfouir sont revenus à la charge. Je m’imaginais retrouver notre couple, mais Benoît a vite calmé mes ardeurs: c’était une aventure d’un soir, et rien de plus. Pourtant, chaque fois que nous nous recroisions, nous finissions par nous embrasser. J’étais malheureuse, mais je n’arrivais pas à lui dire adieu car une petite voix continuait de me chuchoter que c’était l’amour de ma vie. Toutefois, je me suis fatiguée de l’écouter et, dès lors, je n’ai vu qu’une solution: partir loin. J’ai décidé d’aller étudier en Espagne, à Madrid, dès la fin de mon baccalauréat. Quand je l’ai annoncé à Benoît, il n’a pas caché sa tristesse. 

«L’été touchait à sa fin lorsque nous nous sommes dit au revoir, la boule au ventre. N’habitant plus dans la même ville et n’étant plus ensemble, nous n’avions aucune raison de nous recroiser.»

Le jour de mon départ, il m’a accompagnée à l’aéroport et m’a fait promettre de nous retrouver durant l’été. Je ne savais plus quoi penser de notre relation, mais j’ai accepté. Mes amies ne comprenaient pas ma décision de le rejoindre en vacances, à Rome, mais je sentais que je devais y aller. Après notre séjour romantique en Italie, il m’a invitée dans sa maison familiale, en France. Aucune étiquette ne pouvait définir notre relation, mais ça ne nous empêchait pas de nous afficher comme un couple devant ses parents. L’été touchait à sa fin lorsque nous nous sommes dit au revoir, la boule au ventre. N’habitant plus dans la même ville et n’étant plus ensemble, nous n’avions aucune raison de nous recroiser. Je n’osais pas demander à Benoît ce qu’il en pensait, de peur d’être déçue une fois de plus. À Madrid, pourtant, j’ai reçu des courriels de lui tous les jours. À vrai dire, nous n’avions pas été aussi proches depuis notre séparation, trois ans plus tôt…

Pendant les vacances de Noël, nous nous sommes retrouvés dans la même ville, à Paris, sans l’avoir planifié. Il est venu me chercher à la gare et m’a embrassée sur le quai en m’avouant qu’il avait réalisé que j’étais la femme de sa vie. Je n’arrivais pas à croire que j’entendais ces mots que j’avais tant espérés. Le lendemain, je lui ai annoncé ma décision de rentrer à Montréal, une fois mon diplôme en poche. C’est ce que j’ai fait. Pourtant, le bonheur des retrouvailles passé, il a fallu se réhabituer l’un à l’autre. Nous avions tant changé. Notre relation n’était plus la même et, surtout, nous devions nous pardonner toute la peine que nous nous étions causée. Ça n’a pas toujours été facile, mais notre couple en est sorti plus solide. D’ailleurs, cet été, nous nous sommes enfin dit oui!