Adolescente, je rêvais d’une grande famille. Déjà, sans trop savoir pourquoi, lorsque j’imaginais mon futur cocon familial, je me voyais être maman d’enfants biologiques et d’enfants adoptés. Dans la jeune vingtaine, j’ai rencontré Pierre. J’ai quitté le Québec pour m’envoler avec lui vers la France, où nous nous sommes mariés. Deux ans plus tard, en 1997, mon premier fils a vu le jour. Lorsque nous avons commencé à parler d’avoir un deuxième enfant, on m’a appris qu’il me serait très difficile de concevoir à nouveau. Pour moi, l’adoption s’imposait alors comme une évidence. Mais notre couple battait de l’aile. Incapable de communiquer avec moi, Pierre a cherché du réconfort dans les bras d’une autre. Puis, un jour, il est parti pour de bon.

À travers le processus de divorce et une dépression, j’ai poursuivi mes démarches d’adoption à l’international. Mon entourage s’inquiétait. Adopter seule, me disait-on, me condamnerait au célibat. Mais rien ne pouvait m’arrêter. J’étais encore jeune et je savais ce que je voulais. Je leur disais: «Il n’y a pas d’âge pour tomber amoureux, mais on n’a pas toute la vie pour devenir mère.»

Lili est arrivée dans mon existence en 2004, à l’âge de 15 mois. Je m’étais envolée vers Haïti pour aller la chercher à l’orphelinat et rencontrer sa famille. Sa mère biologique m’a remerciée de donner à sa fille une vie qu’elle ne pouvait lui offrir. En la quittant, elle lui a chuchoté: «Cette dame est ta maman, maintenant. C’est elle qui prendra soin de toi.»

Les deux années suivantes ont été difficiles. La petite faisait énormément de crises, et son grand frère a dû s’habituer à sa présence. Mais, avec du temps et beaucoup de patience, la paix est revenue dans notre famille. Forte de mon expérience avec mes deux premiers enfants, je me sentais mûre pour un troisième. Cette fois, j’étais même prête à accueillir un bambin un peu plus âgé.

Presque immédiatement, l’agence d’adoption m’a proposé de devenir la maman de Malik, quatre ans. Après 21 longs mois d’attente, je suis repartie pour Haïti, où j’ai fait la rencontre d’un petit garçon réservé et silencieux. Calme, presque trop, et tellement maigre que ses petites jambes avaient du mal à le porter. De retour à la maison, Lili et lui — qui n’ont que 13 mois de différence — sont vite devenus si proches qu’on aurait dit des jumeaux. Il parlait avec elle, mais jamais avec moi. Six mois de silence plus tard, j’ai compris que quelque chose clochait.

J’ai entamé des recherches et j’ai découvert que Malik souffrait d’un trouble de l’attachement, d’un trouble des fonctions exécutives et d’un trouble du déficit de l’attention. Pendant les années qui ont suivi, je lui ai donné toute mon attention. La seule chose qui comptait à mes yeux était de l’aider. J’ai consulté de nombreux spécialistes et je lui ai même fait l’école à la maison afin qu’il puisse éventuellement intégrer une classe ordinaire.

Chacun de mes enfants m’a appris quelque chose, pavant la voie pour le prochain. Quelques années après l’adoption de Malik, j’ai de nouveau eu envie de devenir maman. Cette fois, j’ai entamé les démarches en France par le biais d’une agence spécialisée et j’ai adopté la petite Audrey, cinq mois, qui a une trisomie 21. Quand on m’a contactée pour me dire qu’un bébé m’attendait, j’ai paniqué. Un nourrisson, à mon âge! J’avais 38 ans et déjà trois enfants. Mais on m’a expliqué que ce serait pour le mieux, qu’en prenant ma fille très jeune sous mon aile, j’allais pouvoir apprendre et grandir avec elle.

 

Adopter seule, me disait-on, me condamnerait au célibat. Mais rien ne pouvait m’arrêter. J’étais encore jeune et je savais ce que je voulais.

 

Malgré tout, j’avais peur. Peur de perdre des amis qui trouveraient que j’allais trop loin, de surestimer mes capacités, du jugement des autres. Peur de ne pas être la mère dont Audrey avait besoin. Mais à l’instant précis où j’ai posé les yeux sur elle, mes doutes se sont dissipés. La nounou l’a déposée dans mes bras, et elle était à moi, ma fille. Tout de suite. Elle m’a tendu sa petite main et j’y ai déposé un bisou. Son visage s’est illuminé d’un grand sourire, et mon cœur a fondu. Le coup de foudre! Je me suis rendu compte que j’avais lentement mais sûrement fait mon chemin jusqu’à elle, en découvrant pas à pas que mon destin était d’offrir une famille à cette enfant pas comme les autres.

Ma famille est unique en son genre. Malgré tout, elle est aussi naturelle, imparfaite, chaotique et débordante d’amour que les autres! Les épreuves que j’ai traversées m’ont poussée à transcender mes propres limites et à aller encore plus loin dans le projet de vie dont je rêvais depuis que j’étais toute jeune. Plus de 20 ans après avoir suivi mon cœur au-delà de l’Atlantique, je vis dans un village tissé serré de la campagne française et je suis quatre fois maman. Mon plus vieux, Samuel, a maintenant 19 ans et étudie les mathématiques à l’université. Lili est une ado de 13 ans, curieuse, énergique et souriante. Malik a 12 ans et est pensionnaire dans une école qui offre un programme sports-études. Et Audrey est une petite fille enjouée qui continue de me remplir de bonheur.

Si je pouvais remonter dans le temps et me parler, adolescente, je me dirais d’avoir confiance; que ma vie ne serait pas toujours facile, que tout ne se déroulerait peut-être pas comme prévu, mais que mon existence serait tout sauf ennuyeuse.

Et que je l’aurais, ma belle et grande famille.