Pourquoi perd-on le goût de faire l’amour avec la personne qu’on aime? Pourquoi, une fois en couple, celui qui nous rendait dingue d’envie ne nous fait plus d’effet? L’amour tuerait-il le désir? Non… mais pas loin! soutient l’auteure et thérapeute belge Esther Perel, dans son excellent bouquin
L’intelligence érotique (Robert Laffont).

En fait, c’est la vie de couple, la façon dont on conçoit l’engagement – avec son lot d’exigences et d’illusions – qui achèverait d’étouffer les dernières étincelles érotiques. Car, faut-il le rappeler, le couple moderne ne se contente pas de s’aimer simplement, en faisant quelques compromis pour préserver l’harmonie. Non. Il veut TOUT. L’amour éternel accompagné d’ébats excitants, la fidélité, l’intimité («on se dit tout»), la proximité («on fait tout ensemble»), l’égalité, la sécurité, les enfants, etc. Un gros contrat qu’on arrive rarement à mener à terme, ou alors qu’on tente de respecter en sacrifiant de grandes parties de soi.

 

LE DÉSIR… ET CE QUI L’ÉTEINT

Intimité – fidélité – sécurité
En ajoutant la communication et l’honnêteté à ce trio, on résume les principales valeurs sur lesquelles se fondent les couples. Sauf que, poussées à l’extrême comme elles le sont aujourd’hui, ces valeurs seraient tout simplement antiaphrodisiaques. Car, contrairement à la croyance populaire, plus il y a d’intimité entre deux personnes, moins il y a d’envie sexuelle. On se retrouve alors dans l’amour fusion et non dans l’amour frissons. On est amis-amis, mais plus tellement amants aimants. Bref, on est trop près, et ça finit par donner envie de s’éloigner plutôt que de se rapprocher. Malheureusement, «l’intimité est devenue le remède souverain contre l’isolement croissant que nous connaissons», peut-on lire dans L’Intelligence érotique.

 

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L’éclatement des familles, le stress, la performance, l’importance du travail, le mode de vie urbain et le manque de temps laissent en effet peu de place aux liens humains. Du coup, on se sent de plus en plus seuls, et on investit d’autant plus dans son couple. On a peur de le perdre et, par le fait même, de perdre l’être aimé. Mais à force de moduler ses envies et ses habitudes sur celles de l’autre, c’est souvent soi qu’on perd… au point d’oublier qui on est, ce qu’on veut, ce qu’on aime. Au risque, surtout, de ne plus être la personne libre, autonome et séduisante qu’on a déjà été. Ça vaut aussi pour le partenaire, bien sûr.

 

Avoir des enfants
Non, ce n’est pas Bébé qui tue la vie érotique. Ce sont les parents qui arrêtent d’attiser la flamme. Car lorsqu’on devient père et mère, on met en place un lourd dispositif de sécurité pour nous rassurer sur notre nouveau rôle d’éducateur. Et on se retrouve vite à tout régler au quart de tour. L’heure du bain et celle du dodo. Le jour de l’épicerie et celui des visites à belle-maman. Les soirées télé et les matins câlins. Bref, tout devient prévisible, encadré, déterminé.

Nous voilà rassurés, bercés par l’illusion d’avoir le plein contrôle. Sauf qu’il n’y a plus de place pour la spontanéité, le rire, le jeu, la fantaisie, le désir, quoi! Nous sommes accaparés par notre fonction parentale, et c’est encore plus vrai pour les mères, qui héritent encore du gros des tâches ménagères et de la charge mentale de la maisonnée.

Ainsi, notre nouvel ordre des priorités nous dit qu’il est préférable de faire une dernière «petite brassée» plutôt que d’aller batifoler dans les bras de l’être aimé. De toute façon, on n’a plus rien à donner, car les enfants ont tout pris! Conclusion: il faut savoir décrocher de son rôle de parent avant qu’il ne soit trop tard (au sens propre comme au sens figuré) pour se retrouver, soi et l’autre.

 

La libération sexuelle
Elle est où, cette fameuse libération? Ah oui, on peut coucher avec qui on veut, regarder de la porno, faire des stripteases sur Internet, mais reste que les femmes hésitent encore à avouer qu’elles se masturbent – enfin, celles qui osent le faire, bien sûr. D’une part, la société est très permissive, surtout en ce qui concerne la sexualité hors des liens du mariage ou du couple: le sexe sans engagement, sans sentiment, sans nom, sans histoire.

D’autre part, on demeure très moraliste (quelle fille se vante d’avoir de multiples partenaires?) et on continue d’encadrer les moeurs sexuelles (pensons aux campagnes vantant l’abstinence aux ados américains). Notre échec du désir tiendrait à cette ambivalence entre permissivité excessive (tout est effectivement permis…) et attitude répressive (pas avec la personne que j’aime, quand même!). Deux scénarios extrêmes où le couple, l’amour et le désir sont rarement mis en scène ensemble.

 

La société de consommation
Performance, nouveauté, rapidité et satisfaction immédiate figurent parmi les valeurs sociales actuelles qui déteignent sur la vie amoureuse. On nous pousse à vouloir toujours plus – en quantité, en variété ou en intensité. On nous fait croire que tous nos désirs peuvent être satisfaits, voire se doivent de l’être. On va même jusqu’à comptabiliser la fréquence des rapports intimes et le nombre d’orgasmes obtenus. Seul hic: l’amour et l’érotisme ne sont pas des moyens de production. Et sous la couette, on n’est pas à l’usine!

Pourtant, on continue de vendre une multitude de gadgets pour «atteindre nos objectifs». Dans ces conditions, on imagine à quel point il devient difficile de se contenter d’un seul partenaire pour la vie ou de respecter le rythme fluctuant du désir qui, contrairement au vibrateur, ne fonctionne pas à tout coup. Résultat: «notre tolérance à la frustration s’amenuise», constate Esther Perel.

 

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Comment rallumer le désir? 

Liberté – mystère – distance
«Sans une part d’incertitude, il n’y a ni attente, ni désir, ni frisson», lit-on dans L’intelligence érotique. Ce qui fait les beaux jours d’une conquête amoureuse, c’est l’inconnu, l’incertitude, le fait que l’autre baigne dans une aura de mystère, qu’il ne nous «appartient» pas, qu’on ne sait pas encore s’il va nous choisir. Un sentiment à la fois angoissant et terriblement excitant. C’est précisément cette distance – non encore franchie – qui rend l’autre si irrésistible, si désirable. Ça ne signifie pas pour autant que l’intimité, la sécurité et la fidélité sont exclues!

Au contraire, il s’agit souvent d’éléments indispensables à une relation amoureuse saine et équilibrée, rappelle l’auteure. Le défi, c’est plutôt d’arriver à conserver ou à recréer un peu de cette distance – celle-là même qu’on s’acharne tant à effacer, une fois la relation amorcée – entre notre chum et nous.

La troisième personne
Un peu de jalousie suffit à nous rappeler que l’autre existe encore en dehors de nous et du couple, explique Esther Perel. Mieux: ça nous fait prendre conscience que notre partenaire ne nous appartient pas, qu’il pourrait partir, être désirable pour quelqu’un d’autre. Un tel constat peut assurément nous donner envie de le choisir, de le vouloir à nouveau. Le flirt (sans aller jusqu’au lit) avec une tierce personne ajoute parfois un peu de piquant dans une relation conjugale, tout comme le simple fait d’avouer qu’on trouve d’autres personnes intéressantes ou sexys incitera bien souvent le partenaire à désirer davantage sa compagne – et vice-versa. Un truc vieux comme le monde… mais qui continue de faire ses preuves.

Inscrire le sexe à l’agenda!
Pour les couples romantiques que nous sommes devenus, pareille idée peut sembler une hérésie. Planifier une rencontre sexuelle? Ça va tout à fait à l’opposé du principe selon lequel lorsque l’amour va, tout va, sans qu’on ait à fournir le moindre effort. Erreur, estime Esther Perel. On ne parle pas ici d’acharnement, mais plutôt de se donner des rendez-vous amoureux pour s’aider à réserver du temps pour son couple (surtout si on a des enfants). On peut même voir ça comme des préliminaires… qui peuvent s’étirer sur quelques jours. Car l’un des mythes que la thérapeute fustige est celui de la sacro-sainte spontanéité.

Ah! faire l’amour comme aux premiers jours, instinctivement, sans rien planifier, se remémore-t-on avec nostalgie… On oublie pourtant qu’on se donnait alors rendez-vous dans le but avoué (peut-être pas à l’autre, mais sûrement à soi-même) de s’envoyer en l’air. On choisissait avec soin ses vêtements, son parfum, le resto… Bref, on y pensait des jours à l’avance et on se présentait sous son meilleur jour – pas en pyjama Mickey Mouse! Est-ce cela qu’on appelle de la préméditation?

L’intelligence érotique
«Le désir est un paradoxe à gérer et non un problème à résoudre», résume l’auteure. C’est-à-dire qu’il n’existe pas de solution toute faite, pragmatique et 100 % garantie pour que le désir soit au rendez-vous à chaque fois et pour longtemps. Il faut accepter qu’il apparaisse et disparaisse. Freud disait que «l’amour est un temps de repos entre deux temps de désir». En fait, le secret des couples qui durent tiendrait à leur aptitude à alterner entre amour et désir. À cultiver aussi l’autonomie au sein du couple, afin que la distance – et le rapprochement qui s’ensuit – soit encore possible.

Dans ce domaine, la fusion est dévorante et étouffante, tandis que le jeu, la complicité, l’amour, le respect et la liberté des partenaires sont propices à l’érotisme. Or, cela exige une participation active du couple, «une résistance constante au message qui nous dit que le mariage est sérieux, qu’il représente plus de travail que de jeu, et que la passion est réservée aux adolescents et aux gens immatures. Se plaindre d’avoir une vie sexuelle ennuyeuse est facile et conventionnel, mais entretenir l’érotisme chez soi est un acte autrement plus subversif», conclut Esther Perel.

 

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