J’ai toujours rêvé d’avoir des enfants. Malheureusement, après deux fausses couches et une grossesse extra-utérine qui a bien failli me coûter la vie, je me suis rendue à l’évidence: jamais je ne pourrais avoir d’enfant.

Bien sûr, j’aurais pu en adopter un. Peut-être. Sauf que la célibataire de 34 ans que j’étais alors se voyait très mal en mère adoptive chef de famille monoparentale. Va pour jouer les Angelina Jolie, mais sans son Brad, non merci!

Cela dit, il est toujours possible de rencontrer un homme qui a déjà un enfant… Rien de plus facile, avec tous ces couples éclatés! L’idée me laissait toutefois perplexe. Veinarde comme je le suis, je serais probablement tombée sur une ex envahissante ou, pire, sur un mec encore accroché à ladite ex.

J’en étais à ces réjouissantes réflexions quand j’ai rencontré Vincent lors d’un vernissage, il y a maintenant trois ans. La jeune quarantaine, juste ce qu’il faut d’assurance, le regard doux et le sourire engageant, il avait tout pour me séduire… sans que je prenne cette histoire trop au sérieux. On s’est revus à quelques reprises. Et on est devenus amants, mais sans se dévoiler vraiment ni rien se promettre – même si je le rejoignais chaque fois le cœur battant.

Puis, un soir où on mangeait ensemble, il s’est mis à me parler de lui et du grand amour de sa vie: sa fille, Laurence, dont il avait la garde partagée depuis à peine un an. Étonnée, émue, j’ai senti mon coeur battre encore plus fort. Lui, cet amant parfait, père d’une petite fille de six ans?

D’un seul coup, toutes mes résistances ont disparu: je suis tombée amoureuse. Et aussitôt, j’ai eu très envie de rencontrer sa fille. En papa prudent, Vincent, lui, ne voulait pas précipiter les choses, rien n’étant encore très sérieux entre nous. Du moins, c’est ce que je lui laissais croire…

La suite: Malaise dès la première rencontre

Au fil des mois, on a continué à se retrouver une semaine sur deux – garde partagée oblige -, jusqu’à ce qu’on ait un mal fou à se quitter. C’est à ce moment-là que je suis revenue à la charge. Quand me présenterait-il sa fille? «Pas tout de suite, je ne suis pas prêt», m’a-t-il répondu. J’ai respecté sa décision avec un vif pincement au coeur. 

Puis un jour, le hasard a voulu que je tombe sur Vincent et sa fillette, une petite blondinette à la mine boudeuse, dans un grand magasin du centre-ville. Surpris, on a fait comme si on était seulement de bons amis. Lorsqu’il m’a présenté Laurence – comment dire –, j’ai ressenti un malaise. Moi qui suis naturellement gaga avec les enfants, j’étais là, bêtement paralysée, sans élan. J’ai quitté le magasin troublée. Quel drôle d’effet cette gamine m’avait fait!

J’étais à des années-lumière de m’imaginer qu’en rencontrant Vincent ce n’est pas son ex qui ferait de ma vie un enfer, mais bien sa fille de six ans! Je m’explique: malgré toute la bonne volonté qui m’animait, Laurence ne me plaisait pas. J’avais beau faire des efforts, chaque fois qu’on se retrouvait tous les trois, sa façon de minauder, de toujours réclamer de l’attention ou un cadeau – sans compter sa manie de pleurnicher pour un rien – me hérissaient.

Il faut dire que Vincent, qui se sentait coupable d’avoir laissé la mère de Laurence, cédait en tout à sa fille. Laurence réclamait un nouveau jeu, plus amusant que celui qu’elle venait d’avoir? Vincent le lui achetait. Laurence ne voulait pas ranger sa chambre? Papa ou la femme de ménage s’en chargeait. Vincent interdisait la télé pendant les repas? Laurence n’en faisait qu’à sa tête et s’installait avec son dessert devant TéléTOON. Et moi, je bouillais intérieurement, redoutant l’explosion. Heureusement, j’arrivais à me contenir en me répétant que je n’avais pas à m’immiscer dans l’éducation de Laurence. Mais il m’arrivait aussi de proposer à Vincent de faire garder la petite, ou encore de prétexter une montagne de boulot lorsque je ne me sentais pas la force d’être témoin des caprices de Laurence.

 La suite: « Je l’ai giflée »

Jusqu’au jour où j’ai pété les plombs. Imaginez: après avoir assisté à un merveilleux spectacle de Cavalia, Laurence a fait une crise pour avoir un des gros chevaux en peluche qui étaient vendus sur place.

Incontrôlable, elle s’est jetée par terre et s’est mise à hurler. Vincent a essayé de la calmer, mais en vain. J’ai tenté de la raisonner à mon tour: elle a aussitôt répliqué que je ne comptais pas pour elle et que j’étais là seulement en attendant que Vincent lui trouve une autre maman.

Soufflée, j’ai saisi Laurence par le bras, je l’ai traitée de petite peste qui ne pensait qu’à elle et je l’ai giflée. J’étais hors de moi. Sidéré, Vincent avait assisté à toute la scène. Ce n’est qu’après nous avoir séparées qu’il s’est tourné vers moi en criant: «T’es complètement folle! Je t’interdis de toucher à ma fille!»

Tremblante, honteuse et pourtant soulagée d’avoir secoué Laurence, j’ai raconté n’importe quoi. Que je n’étais pas prête pour la vie de famille. Que je ne comprenais rien à la vie à deux – et encore moins à trois. Que j’étais épuisée. Et quoi encore… Défaite, je suis partie sans ajouter un mot.

Pendant plusieurs jours, ç’a été le silence radio entre nous. Puis, Vincent a tenté de me joindre. Je n’ai répondu à aucun de ses appels ni de ses courriels. J’ai pris la fuite. Comment dire à l’homme de sa vie qu’on ne supporte pas son enfant? Comment aborder le sujet avec des copines sans passer pour un monstre? Après des jours et des nuits blanches de questionnement et d’autoflagellation, j’ai eu besoin de comprendre ce qui m’arrivait. J’ai donc consulté un psy. Alternant entre la confusion, la honte, la rage et… la boîte de kleenex, j’ai commencé à me demander pourquoi je détestais tant Laurence.

La suite: Réconciliation possible?

J’ai erré quelque temps avant d’appréhender une certaine vérité. Et de comprendre qu’au fond ce n’était pas la petite Laurence qui était en cause, mais ce qu’elle représentait à mes yeux. En fait, elle incarnait la petite fille qu’on m’a toujours interdit d’être: la princesse qu’on adore, qu’on applaudit. La fillette charmante, qu’on trouve jolie, qu’on câline, qu’on protège. Sans vouloir jouer à la victime, je me rappelle très bien que, enfant, j’étais plutôt celle qui ne trouve jamais grâce aux yeux de son père – un homme froid, exigeant et autoritaire.

J’avais intérêt à réprimer mes envies pour obéir et me fondre dans le décor sans jamais attirer l’attention sur ma petite personne. Je n’avais qu’un seul mot d’ordre: exister le moins possible. Et c’est ce que j’ai fait, avec plus ou moins de succès. En thérapie, quand j’ai levé le voile sur cette vieille souffrance, j’ai pleuré, pleuré, pleuré. Aujourd’hui, avec le recul, je réalise que mon aversion initiale pour Laurence m’a permis de faire le deuil de la petite fille en moi qui ne demandait qu’à être aimée…

Les mois ont passé, sept exactement. Je me sentais allégée, libérée. Mais voilà, Vincent me manquait atrocement. Un jour, n’en pouvant plus, j’ai tenté un rapprochement. C’est à peine s’il m’a parlé au téléphone. J’ai attendu quelques jours et je me suis rendue chez lui. Il était là, devant moi, absent. J’ai insisté pour lui expliquer ce qui s’était passé. Et j’ai tout avoué, d’un trait. Il m’a écoutée jusqu’au bout. Il a pris mon visage dans ses mains et m’a dit, très doucement, à quel point cette histoire le bouleversait. Et que, malgré ce qui s’était passé avec Laurence, je lui manquais et qu’il m’aimait.

Après ce tête-à-tête, on a décidé de se donner une deuxième chance, sans rien forcer ni précipiter. À la condition expresse, toutefois, que je réapprivoise Laurence.

Évidemment, les retrouvailles avec elle n’ont pas été faciles. Il y a eu de la résistance de sa part; par exemple, elle m’ignorait à mon arrivée ou refusait de m’embrasser quand je repartais. J’étais parfois agacée lorsqu’elle faisait des caprices, mais je respirais un bon coup et ça allait. Ça allait même de mieux en mieux. Soirées à la maison devant un bon film, excursions en plein air, batailles d’oreillers mémorables: nos échanges ont progressivement gagné en tendresse et en fous rires…

La petite fête d’amis que j’ai organisée en secret pour son huitième anniversaire a été le point culminant de notre rapprochement. Laurence m’a sauté dans les bras, et moi je pleurais de joie devant un Vincent ému.

Il a fallu plus d’un an avant qu’on retrouve l’harmonie et qu’on emménage tous ensemble dans une jolie maison. L’an dernier, j’ai cessé ma thérapie, je me sentais plus proche de Laurence que jamais. Je l’avoue, elle ne ressemblait pas à l’enfant que j’avais toujours rêvé d’avoir. Mais à bien y réfléchir, Laurence est beaucoup mieux que ça: elle est la petite fille que j’avais besoin d’aimer.

Propos recueillis par Manon Chevalier

 

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