Pour son défilé printemps-été 2020, la maison de luxe parisienne Dior a présenté un vestiaire bucolique – robes diaphanes brodées de fleurs, chapeaux de paille et imprimés tie and dye – au milieu d’un décor boisé. Celui-ci a retenu l’attention, autant que les 89 tenues pastorales tout droit sorties de l’imaginaire florissant de Maria Grazia Chiuri. Et pour cause: la créatrice italienne avait fait appel au collectif Atelier Coloco, qui regroupe des paysagistes, des urbanistes et des jardiniers, pour concevoir la scénographie de son défilé. Les sylphides, habillées de ces herbiers couture, défilaient au  milieu d’une clairière ombragée parmi 164 arbres dotés du mot-clé #PlantingForTheFuture («Planter pour l’avenir») et d’un code QR, qui permettait aux invités de savoir où chaque plante serait envoyée après le défilé. Le message sous-jacent? Sensibiliser la mode à la crise climatique – et à l’urgence d’agir – face à un avenir incertain tant pour la nature que pour l’homme.

La griffe française n’est pas la seule à se mobiliser: un nombre grandissant de marques et de créateurs prennent la tangente verte. Engagement pour des solutions durables, manifestes écologiques, réformes du calendrier saisonnier… Zoom sur les changements qui bouleversent l’univers de la mode.

Défilés neutres

La designer uruguayenne Gabriela Hearst a été la première à l’annoncer: son défilé du printemps 2020 serait carboneutre, une innovation rapidement imitée par Gucci. Des cartons d’invitation jusqu’au décor clinique, la maison italienne a en effet décidé de contrôler de A à Z l’empreinte écologique de sa présentation printanière et de compenser les émissions de gaz à effet de serre de ses 1000 invités et de ses 900 travailleurs (employés, mannequins, artistes coiffeurs et maquilleurs), la plupart venus en avion spécialement pour l’événement. Mieux encore, la griffe de luxe a déclaré dans la foulée être désormais 100 % carboneutre pour ce qui touche ses activités d’exploitation et sa chaîne d’approvisionnement. Pour contrebalancer son empreinte écologique importante, Gucci a choisi de collaborer avec REDD+, un projet de l’ONU qui soutient la protection et la restauration de forêts au Pérou, au Kenya, en Indonésie et au Cambodge. «Le meilleur moyen de réduire à zéro nos émissions [de CO2] est de fermer la compagnie, a confié le président-directeur général de la marque, Marco Bizzarri, au quotidien britannique The Guardian. Mais 18 000 personnes perdraient leur emploi. Lorsqu’on parle d’environnement, il faut aussi garder cela en tête.»

Le poids de la mode

La maison Gucci est signataire du Pacte de la mode, présenté par François-Henri Pinault, PDG du groupe Kering (auquel appartient Gucci), au sommet du G7 en août dernier. En tout, 32 grandes entreprises et 146 autres marques, entre autres Chanel, Versace, H&M, Michael Kors et Holt Renfrew, se sont prononcées en faveur d’engagements concrets pour la sauvegarde de la planète dans trois domaines majeurs: atténuation des changements climatiques, restauration de la biodiversité et protection des océans. Le but? Atteindre zéro émission nette de CO2 d’ici 2050 et n’utiliser que de l’énergie renouvelable dans leur chaîne d’approvisionnement d’ici 2030. Certains de ces labels font déjà des efforts substantiels pour atteindre ces objectifs, mais il reste qu’aucune obligation de résultat n’est imposée… Une faille  que les critiques ont tôt fait de pointer du doigt. Selon un rapport de la Fondation Ellen MacArthur publié en 2017, la production de textile est chaque année responsable de l’émission de 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre (plus que les transporteurs aériens et maritimes réunis!) et elle consomme près de 93 milliards de mètres cubes d’eau (notamment pour la très énergivore culture du coton), contribuant largement à la surexploitation de cette ressource précieuse. Et on ne parle même pas des polluants – pesticides et produits chimiques notamment – utilisés dans la fabrication des tissus et des vêtements, qui contaminent l’air, le sol et les cours d’eau. Dans cette optique, on est en droit de se demander si ce fameux Pacte est une véritable prise de conscience collective ou plutôt un coup de marketing, qui surfe sur la tendance écologique pour créer un buzz auprès des consommateurs de plus en plus friands de mode écoresponsable. «Face à la crise climatique, l’industrie n’a pas d’autre choix que de se réinventer, sinon elle cessera d’exister», assure Helen Brunet, responsable Développement stratégique à Vestechpro, centre de recherche et d’innovation en habillement affilié au cégep Marie-Victorin et à son école de mode. De fait, le rythme frénétique de l’industrie tel qu’on le connaît aujourd’hui doit s’adapter… au plus vite!
«Nous devons apporter de véritables changements dans le secteur de la mode pour que notre planète puisse avoir un avenir», affirme Kim Smith, responsable de la création des vêtements pour la marque californienne Everlane. «Nous devons produire moins, et de manière durable.»
La griffe s’est donné pour mission de supprimer d’ici 2021 l’utilisation de plastique non recyclé dans sa chaîne logistique et de rendre sa production de denim le plus écoresponsable possible. Sur son site Internet, il est d’ailleurs possible de connaître le lieu de production de chacun de ses vêtements et de ses accessoires au Vietnam, en Chine, au Pérou et en Toscane, dans des usines où l’éthique prime: salaire équitable, heures de travail raisonnables et environnement positif. Quand la transparence est au rendez-vous, tout le monde en sort gagnant.

Nouvelles tendances

«De plus en plus de personnes prennent conscience des dégâts environnementaux que l’industrie a causés et, à cet effet, se soucient davantage de changer le cours de la mode», précise Brenna Simmons, directrice adjointe de la création chez AMUR, une griffe de luxe new yorkaise écoresponsable qui offre une garde-robe féminine, parsemée d’imprimés fleuris et confectionnées dans des matières durables. Alors que Gabriela Hearst et Gucci ont choisi de mettre en place un défilé carboneutre, le Conseil suédois de la mode a carrément annoncé en juillet l’annulation de sa Fashion Week, un événement pourtant attendu par les influenceurs et les rédacteurs de Scandinavie et d’ailleurs. Avec cette décision, Stockholm s’oppose au cycle saisonnier des passerelles et souligne les dangers du prêt-à-porter, dont l’offre pousse à la surproduction, à la surconsommation et à la surutilisation de ressources irremplaçables.

Parmi les acteurs qui font bouger les choses, Stella McCartney est une figure de proue de la mode durable. La créatrice et militante britannique a à coeur d’offrir, saison après saison, un vestiaire respectueux de l’environnement. Sa collection printemps-été 2020 a été conçue à partir de matériaux écoresponsables à 75 %, un record personnel pour la designer. Elle vient d’ailleurs d’inaugurer une toute nouvelle fourrure synthétique, faite à partir de maïs et de polyester recyclé. De son côté, Prada a annoncé en juillet que d’ici 2021, elle aura renoncé au nylon vierge, une matière synthétique ultrapolluante, au profit de l’Econyl, un fil de nylon fabriqué à partir de déchets plastiques récupérés dans les océans. «En créant et en développant une mode consciente de ses effets sur l’écosystème – [comme] utiliser du fil recyclé pour aider à nettoyer les océans […] –, on est en mesure de produire des vêtements [sans nuire au climat]», déclare Brenna Simmons, d’AMUR.

Imaxtree

Une prise de conscience collective

Le meilleur moyen de réduire notre impact sur l’environnement demeure encore l’économie circulaire, c’est-à-dire l’utilisation optimale des ressources en prolongeant leur cycle de vie ou en leur donnant une nouvelle existence. Parmi les disciples de cette philosophie écolo, la Britannique Bethany Williams et la Française Marine Serre, deux créatrices de la relève qui, pour élaborer leurs collections, utilisent le surcyclage (ou upcycling) – soit la récupération de matériaux ou de produits, qu’elles transforment en matériaux ou en produits de qualité supérieure. Une démarche de recyclage par le haut qu’encourage Stella McCartney: «Comment faire pour confectionner de nouveaux vêtements à partir d’anciens morceaux? […] C’est une chose que l’industrie doit commencer à prendre au sérieux, a-t-elle dit pendant une table ronde organisée peu avant son défilé printemps-été 2020, afin de discuter du rôle de la mode dans la crise du climat. La revente, la location de vêtements, le vintage… Ce genre de conversation est désormais primordial.» Certes, le secteur de la mode a encore (beaucoup) de chemin à parcourir, mais c’est aussi à nous, consommateurs, d’encourager un changement durable et positif. Comment? En portant attention à ce qu’on achète, en privilégiant l’usagé et en prenant soin de nos vêtements et de nos accessoires afin de prolonger au maximum leur durée de vie. «Personne ne nous oblige à acheter, et c’est notre responsabilité à tous de nous informer lorsqu’on magasine car, au bout du compte, on dicte les lignes directrices de l’industrie», rappelle Marie-Ève Faust, directrice et professeure à l’École supérieure de mode de l’ESG UQAM. Depuis l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux, il est facile de trouver l’information nécessaire pour réaliser un achat écoresponsable en toute connaissance de cause: la provenance des pièces, leur procédé de fabrication, les matériaux utilisés… «Les consommateurs sont en mesure d’exercer leur pouvoir d’achat en décidant de magasiner moins, de privilégier des marques qui mettent de l’avant des pratiques durables […] et de pousser les entreprises responsables à faire ce qui est bénéfique [pour la planète]», soutient Kim Smith, d’Everlane.

Pour son défilé printemps-été 2020, la créatrice londonienne Phoebe English a choisi de délaisser la passerelle pour une présentation sobre afin d’éduquer ses invités sur la provenance de chaque élément de ses créations, du tissu recyclé aux boutons des vêtements (faits à partir de plastique laitier) en passant par les teintures écologiques. La philosophie derrière ce show hors-norme? «Nous sommes le problème et la solution», un mantra écrit noir sur blanc dans les notes de présentation. Devant l’urgence de la situation climatique, il est en effet de notre devoir – et il est en notre pouvoir – à tous, entreprises et consommateurs, de faire bouger les choses. Alors, qu’attendons-nous?