Dans son petit atelier de la banlieue parisienne, Marine Billet conçoit des pièces de joaillerie qui s’invitent sur les passerelles des défilés comme sur les tapis rouges. Son savoir-faire et son imagination débridée sont en parfaite adéquation avec la vision surréaliste de l’un de ses plus gros clients: le designer Daniel Roseberry, directeur créatif de Schiaparelli, avec qui elle a réalisé une multitude de pièces, dont un sein en laiton en trompe-l’œil (affublé d’un bébé grandeur nature), un masque pour le visage en or et des fleurs scintillantes coulées dans le métal. Pour autant, Marine Billet – qui est ce qu’on appelle une parurière, ou prototypiste de bijoux – reste modeste quant à ses accomplissements. «Je suis toujours très excitée lorsque je vois enfin les défilés [qui présentent mes créations], dit-elle. C’est exaltant de voir les pièces portées par les mannequins et de découvrir la tenue au complet. C’est toujours une surprise.» 

Défilé Schiaparelli Haute Couture printemps-été 2022

Défilé Schiaparelli Haute Couture printemps-été 2022Gracieusté de Schiaparelli

Depuis 2019, Daniel Roseberry reprend et développe les codes insolites de la maison, mis au point par la fondatrice, Elsa Schiaparelli, qui a collaboré avec les plus grands artistes surréalistes du 20e siècle, notamment Jean Cocteau, pour qui elle a brodé les illustrations sur des manteaux en trompe-l’œil, et Salvador Dalí, peintre de l’absurde, avec qui elle a conçu d’étonnantes créations, dont la célèbre robe homard, restée dans les annales de la mode. Daniel Roseberry, lui, collabore avec Marine Billet pour embellir ses confections, et va même jusqu’à utiliser les œuvres sculpturales de la prototypiste comme vêtements. 

La Française a commencé sa carrière loin de l’univers de la mode: elle a d’abord étudié l’architecture, puis a travaillé comme décoratrice d’intérieur avant de découvrir le forgeage du métal. «J’ai très vite compris que j’avais besoin de travailler avec mes mains, et les bijoux sont venus naturellement», dit-elle. En 2015, elle a donc entamé un cours de deux ans à l’Association pour la formation et le développement des arts plastiques (AFEDAP), à Paris, où elle a pu expérimenter des matériaux non conventionnels – en fabriquant notamment une bague à partir de dents humaines – et découvrir des façons créatives de concevoir des bijoux.

Gracieusté de Schiaparelli

Après un stage court, mais intense, chez le parurier Philippe Grand, elle a mis à profit son expérience pour créer l’Atelier Marine Billet au début de 2018. Le succès a été immédiat, ou presque. Elle a commencé à travailler avec de grands noms de la mode, dont Comme des Garçons, et a participé à la création d’une ligne d’accessoires pour les cheveux avec l’artiste coiffeur de renom John Nollet. Puis, elle a surtout commencé sa collaboration avec Schiaparelli, inscrite au calendrier de la mode depuis 2014, après un hiatus de 60 ans. Daniel Roseberry l’a initiée à sa vision unique d’une mode surréaliste. «J’étais déjà habituée aux exigences de l’industrie, mais avec Daniel, le niveau est monté d’un cran – à la fois dans les détails et dans la technicité –, ce que j’apprécie vraiment», déclare Marine Billet. Tous deux discutent longuement de la manière dont chaque bijou conceptuel fonctionnera dans la réalité; aucun détail – ni le matériau ni le poids et le sentiment que le designer souhaite susciter – n’est laissé au hasard. «Ça devient plus facile avec la confiance et le temps, dit la prototypiste. On se comprend plus vite quand on construit une relation.» Mais la principale qualité requise pour atteindre ce niveau de travail d’une exigence hors pair est la réactivité. «On doit décider très rapidement de la manière dont on va construire la pièce, explique-t-elle. Les délais sont toujours très courts.» 

Collection Schiaparelli printemps-été 2021.

Collection Schiaparelli printemps-été 2021.Gracieusté de Schiaparelli

Marine Billet aime mouler des objets en capturant autant que possible la forme de choses et de personnes réelles (à l’exception du bébé doré de la collection printemps-été 2021, bien entendu). Dans son processus, elle utilise du silicone pour créer un moule dans lequel elle verse le laiton, le bronze ou la résine en fusion, ce qui permet d’obtenir une version hyperréaliste de l’objet en question. «Le procédé est assez long, car il a plusieurs étapes en fonction de la partie du corps qu’on souhaite mouler. Mais généralement, j’applique le silicone […], je le laisse sécher, puis j’applique des bandes de plâtre pour faire un cadre, car le silicone est vraiment mou, et je les laisse sécher de nouveau.»

Alors que d’autres types d’embellissement, comme la broderie ou le travail des plumes, peuvent prendre des semaines, avec de multiples propositions offertes au designer, Marine Billet n’a souvent qu’un ou deux jours pour tester ses méthodes. «Le bébé en résine doré, on l’a coulé directement, car on n’avait pas le temps d’expérimenter le procédé, donc c’était un peu stressant quand on a retiré le silicone. Il y a beaucoup d’inconnu dans mon processus, et je prends toujours un risque. La plupart du temps, je travaille sans filet.»

Bella Hadid au Festival de Cannes 2021

Bella Hadid au Festival de Cannes 2021Getty Images

L’artiste utilise sa curiosité innée pour stimuler sa créativité et est toujours en quête d’inspiration. Prenez, par exemple, les poumons en laiton, qui couvraient la poitrine de la mannequin Bella Hadid sur le tapis rouge du Festival de Cannes 2021. «Je suis allée dans la forêt pour ramasser des branches, et je les ai analysées pendant des heures pour comprendre comment elles étaient formées, car j’avais lu dans un livre de médecine qu’un poumon est comme un arbre inversé, raconte Marine Billet. Il peut y avoir de nombreuses façons de construire un seul composant, donc ça m’aide à prendre du recul lorsque les choses sont stressantes afin de prendre la meilleure décision. Je visualise l’objet agrandi et la façon dont je vais devoir l’assembler.»

Ces œuvres deviennent un mémento, imprégné de l’expérience de l’artiste et de l’intimité du processus de moulage. «J’ai un beau souvenir de l’hiver dernier lorsque je plâtrais une mannequin, évoque Marine Billet. Il faisait très froid, et la mannequin devait être à moitié nue, alors on est restées près du poêle pour nous réchauffer, et on peut encore voir sa chair de poule sur la pièce finale. J’aime vraiment prendre ces matériaux bruts et les transformer en d’incroyables bijoux; c’est une sorte de magie.» À voir ses créations lors des défilés de Schiaparelli, la magie est en effet au rendez-vous! 

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