Dans les récits de la mythologie grecque, les neufs Muses – fruits d’autant de nuits d’amour entre Zeus et Mnémosyne, déesse de la Mémoire – étaient chacune gardiennes et ambassadrices d’un art libéral (Clio pour l’histoire, Euterpe pour la musique, Terpsichore pour la danse, Calliope pour la poésie épique…). Le talent artistique était alors considéré comme une manifestation divine, et ces Muses incarnaient l’inspiration qui soufflait aux poètes leurs envolées lyriques et aux musiciens leurs mélodies célestes.

Des siècles plus tard, elles délaissent leur caractère sacré pour revêtir les traits d’une femme (ou d’un homme), mais elles continuent de fasciner. Célébrité, mannequin, amie de longue date ou cliente privilégiée d’un couturier, elles personnifient sa vision et lui insufflent l’exaltation nécessaire pour concevoir ses collections, en travaillant d’ailleurs parfois étroitement avec lui. C’est que cette égérie n’est pas une simple figurante, qui attend, muette, que l’inspiration vienne au créateur.

Incursion dans les coulisses de la mode pour lever le voile sur ces muses du style, de Mitzah Bricard à Kirsten Dunst, en passant par Audrey Hepburn et Harry Styles.

Mitzah Bricard & Christian Dior 

En 1947, un tout nouveau couturier fait sensation sur la scène mode, rendue quelque peu austère depuis la fin de la guerre. Son nom? Christian Dior, qui vient de révolutionner la garde-robe féminine en offrant à ses clientes un New Look, comme l’avait alors baptisé le magazine américain Harper’s Bazaar. Cette silhouette nouvelle, faite de blazers cintrés et de jupes corolle, repose sur un style glamour et sophistiqué à l’image de Mitzah Bricard, la muse du créateur. Car Christian Dior s’est certes entouré de femmes pour faire rouler son atelier – dont Raymonde Zehnacker, directrice du studio, et Marguerite Carré, directrice technique –, mais c’est bien Mitzah Bricard, conseillère artistique, qui incarne à la perfection le style de la maison. Cette Parisienne à l’élégance extravagante, adepte du motif léopard, influence le couturier, qui appose l’imprimé fauve sur ses créations dès sa première collection. Après la mort de Dior, en 1957, cette muse liée pour toujours à l’histoire de la maison continuera d’inspirer ses successeurs, de John Galliano à Maria Grazia Chiuri. Un parfum et une gamme de foulards griffés portent même son nom!

Audrey Hepburn & Hubert de Givenchy

La relation d’Audrey Hepburn et d’Hubert de Givenchy, teintée d’une admiration mutuelle, marque l’histoire du cinéma. En 1953, la comédienne aux yeux de biche et au délicat minois vient de boucler le tournage de Roman Holiday et s’apprête à jouer dans Sabrina lorsqu’elle fait la connaissance du couturier. À la demande du réalisateur, Billy Wilder, Hubert de Givenchy doit habiller Audrey et faire d’elle une parfaite Parisienne à l’écran, car le personnage qu’elle incarne, Sabrina, vient de passer deux ans dans la Ville lumière. Entre les deux, c’est le coup de foudre instantané et le point de départ d’une collaboration fructueuse, qui continuera sur les plateaux de tournage de Funny Face, de Charade et de Breakfast at Tiffany’s. (C’est d’ailleurs à ce créateur qu’on doit la fameuse robe fourreau noire, aussi culte que le film.) Pour l’actrice, c’est bien simple, «les vêtements de Givenchy sont les seuls dans lesquels [elle se sent elle]-même». Il faut dire qu’avec son élégance naturelle et sa silhouette élancée, elle est l’icône idéale du chic et de la sophistication de la maison de luxe. Pour faciliter les essayages, Givenchy emploie d’ailleurs dans son atelier une mannequin dont les mensurations concordent avec celles de sa muse. «Dans chacune de mes collections, une partie de mon cœur, de mon crayon, de mes créations venait d’Audrey», dira-t-il des années plus tard.

Betty Catroux, Loulou de la Falaise & Yves Saint Laurent

Difficile de savoir qui, de Betty Catroux ou de Loulou de la Falaise, a le plus influencé Yves Saint Laurent. Il rencontre la première en 1967 dans une boîte de nuit sélect, à deux pas des Champs-Élysées, et fait la connaissance de la seconde un an plus tard, par un bel après-midi d’été, dans la capitale française. Leur point commun? Une allure à la fois chic, racée, insolente et moderne, follement parisienne, qui inspire le designer. Ça tombe bien: il a perdu sa muse et mannequin fétiche, Victoire Doutreleau, qui a claqué la porte de son atelier quelques années auparavant, et il peut désormais compter sur le soutien indéfectible de ses deux nouvelles amies. D’un côté, Betty, blonde platine longiligne et ancienne top pour Chanel qu’Yves Saint Laurent considère comme sa «sœur jumelle», n’a que faire de la mode. Son style androgyne inspire au couturier son célèbre tailleur-pantalon. C’est avec elle qu’il fait la fête jusqu’à l’aube pour échapper à l’ennui, voyage aux quatre coins du monde et file en centre de désintoxication. De l’autre côté, Loulou, son «bras droit», chargée des accessoires et de la maille de la griffe, l’épaule dans son atelier pendant près de 30 ans. Cette Franco-Anglaise de la haute société, à l’excentricité vibrante, est capable de rendre glamour n’importe quelle guenille. Tout au long de sa carrière, Yves Saint Laurent se nourrira du charme et de la personnalité de ses deux muses, à la fois complémentaires et si différentes.

Harry Styles & Alessandro Michele   

Depuis son arrivée à la tête de la direction artistique de Gucci en 2015, Alessandro Michele s’est entouré d’une pluralité de muses et d’amis, qui l’inspirent par leur style et leur personnalité, dont les acteurs Jared Leto et Dakota Johnson, la mannequin et écrivaine Hari Nef et le chanteur Harry Styles. Devenu fan de la griffe italienne au fil des ans, cet ancien membre du groupe britannique One Direction, qui s’est aujourd’hui lancé dans une carrière solo, a pris la pose pour incarner la collection Gucci Tailoring pour hommes de l’automne-hiver 2018-2019. Depuis, Alessandro Michele et son égérie ne cessent de collaborer, qu’il s’agisse d’un tapis rouge, d’une campagne publicitaire, d’une tenue de scène ou d’un t-shirt, pour souligner le lancement en décembre 2019 de l’album Fine Line, de Harry (qui porte d’ailleurs un look signé Gucci sur la pochette). Il est vrai qu’avec son esthétique fluide et éclatée, le chanteur représente à merveille l’univers de la maison de luxe, et son excentricité colle parfaitement à l’imagination débordante et fantaisiste du designer. «J’aime les gens singuliers, qui essaient de vivre différemment», a confié le créateur de la griffe au magazine Cultured. Qui sait, peut-être qu’une collection Gucci x Harry Styles verra bientôt le jour?

Sofia Coppola et Marc Jacobs

Entre Sofia Coppola et Marc Jacobs, deux artistes fans d’art et de musique, le courant passe. Ils se rencontrent en 1992 dans les coulisses du défilé Perry Ellis. Marc Jacobs vient de présenter sa collection controversée, baptisée «grunge» par la presse, qui marque la fin de sa relation avec la griffe américaine et qui, paradoxalement, le rendra célèbre. «Sofia a été l’une des rares à reconnaître quelque chose de spécial dans mes créations et à s’identifier à ce que je faisais à l’époque. Elle voulait me rencontrer, et quand nous nous sommes vus, ç’a été, pour moi, le coup de foudre», confie-t-il sur son compte Instagram en 2015. Ils se lient d’amitié, et les collaborations se succèdent. Sofia devient son égérie (et prend notamment la pose pour sa fragrance Marc Jacobs), porte ses robes sur le tapis rouge et travaille à une gamme de sacs griffés Louis Vuitton, au moment où le designer est directeur artistique de cette maison de luxe, de 1997 à 2013. Marc Jacobs loue son sens du style et sa créativité, à un point tel qu’il lui demande de retranscrire l’univers de The Virgin Suicides, le premier film de la réalisatrice, pour présenter son parfum Daisy. Les deux se vouent une admiration sans bornes, qui continue aujourd’hui à porter ses fruits. Récemment, Sofia Coppola a collaboré à une collection pour la nouvelle marque de son ami, The Marc Jacobs.

Kirsten Dunst & Kate et Laura Mulleavy

Depuis le lancement de leur griffe, Rodarte, en 2005, les sœurs Mulleavy dévoilent chaque saison une garde-robe romantique et inspirée, un brin dramatique, à l’image du style de Kirsten Dunst. L’actrice a d’ailleurs été la première à porter les vêtements de la marque sur le tapis rouge, une heureuse circonstance qui a permis au duo créatif de rencontrer sa muse. Maintenant, chaque saison ou presque, celle-ci figure dans le lookbook de Rodarte, où elle présente la nouvelle collection (à l’automne 2018, elle en a profité pour annoncer sa grossesse en revêtant une robe de soirée en tulle rouge brodé de fleurs, qui mettait en valeur son ventre rond). Entre les sœurs et leur égérie, c’est une relation particulière, amicale et innovante, qui s’épanouit aussi… jusqu’au cinéma! En 2017, Kate et Laura Mulleavy, avec l’aide de Kirsten Dunst, lançaient leur premier film, Woodshock, un drame qui – sans surprise – mettait l’actrice en vedette. Car c’est là toute l’essence d’une muse moderne: au lieu d’être une simple figure d’inspiration, elle devient à son tour une tête créative.

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