La haute couture, c’est quoi?

Pour qu’une pièce mérite cette étiquette, il ne suffit pas qu’elle ait été divinement cousue à la main. «Il faut aussi qu’elle soit faite sur mesure pour une personne en particulier, affirme la directrice des relations publiques de Chanel Canada, Virginie Vincens. La cliente se prêtera ensuite à trois ou quatre essayages afin que la création soit parfaitement ajustée à sa silhouette. En outre, les vêtements haute couture sont confectionnés dans des tissus exclusifs de la maison. Chez Chanel, par exemple, on a récemment conçu des tweeds iridescents tissés et rebrodés, des tulles constellés de paillettes, etc.» Bien entendu, travailler de manière aussi artisanale, en apportant un soin maniaque à la recherche sur les matières et à la confection du vêtement, ça prend du temps. Beaucoup de temps: jusqu’à 200 heures d’ouvrage pour un simple tailleur, 800 heures pour des broderies sur une robe… Pas étonnant que ces tenues coûtent souvent aussi cher que des voitures de luxe!

Ça vient d’où?

D’un trait de génie de Charles Frederick Worth, Britannique installé à Paris et as du marketing avant l’heure: en 1858, il a présenté pour la première fois une collection sur des mannequins en chair et en os. Le défilé de mode était né! Et, avec lui, une profession: celle de couturier. Auparavant, les clientes avaient coutume de se procurer des tissus au mètre chez les marchands, puis de faire coudre leurs toilettes par des tailleurs à qui elles dictaient les moindres détails de la confection. Worth, lui, a instauré un système où il fabriquait lui-même les modèles de la saison, dans les matières de son choix. Bref, il ne se contentait plus d’exécuter la commande; il créait des collections et imposait un style. Le cycle de la mode venait d’être inventé, et la voie était tracée pour les Christian Dior et Paul Poiret de ce monde.

Chacun peut-il décréter qu’il fait de la haute couture?

Non, car il s’agit d’une appellation juridiquement protégée depuis 1945. Pour devenir membre de la Chambre syndicale de la haute couture, une marque doit d’abord être parrainée, puis remplir de nombreux critères. Il faut par exemple que tout le travail soit effectué à la main dans au moins deux ateliers, que deux collections de 25 modèles soient présentées chaque année, que les pièces soient faites sur mesure et que les maisons comptent au moins 20 salariés. Ouf! Heureusement, ces normes sont parfois assouplies pour donner l’occasion aux créateurs de la relève, qui ont des moyens financiers limités, de montrer leurs collections. Ainsi, en janvier 2013, un Montréalais a eu cet honneur pendant la prestigieuse semaine de la haute couture, à Paris. C’était Rad Hourani, qui innovait en proposant une première collection entièrement unisexe. Pas mal comme début dans la cour des grands!

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Quelle est la différence avec le prêt-à-porter?

Dans les années 1940, l’avènement du prêt-à-porter et la crise économique engendrée par la Seconde Guerre mondiale ont rudement secoué l’univers feutré des maisons de couture. Au lieu de faire leurs vêtements elles-mêmes, les femmes (même les moins riches) pouvaient maintenant acheter des jupes, des robes et des manteaux déjà prêts dans les magasins; elles n’avaient plus à prendre de mesures. Peu rentable par comparaison avec cette nouvelle industrie de masse, la couture a réussi à tirer son épingle du jeu en misant sur le prestige. La maison Dior, par exemple, s’offre une vitrine spectaculaire avec ses défilés haute couture, ce qui lui sert à renforcer son image de marque. La notoriété ainsi acquise profite bien sûr à ses autres secteurs (prêt-à-porter, cosmétiques, accessoires), tous éminemment lucratifs. Quant aux concepteurs eux-mêmes, ils considèrent la haute couture comme un lieu d’exploration formidable: «Le prêt-à-porter vient avec beaucoup de contraintes, alors que la haute couture permet d’être libre et de se vouer complètement à l’expérimentation», nous a confié Rolf Snoeren, du tandem néerlandais Viktor & Rolf, à la fin de son défilé printemps-été 2014.

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Qui sont les femmes qui achètent ces pièces?

Personne ne le sait vraiment, car elles demeurent discrètes, et les maisons préservent jalousement leur anonymat. Chose certaine, c’est surtout grâce à ces richissimes collectionneuses que la haute couture se porte bien. Elles proviennent de plus en plus de la Chine, de la Russie, de l’Inde, des pays du Golfe… «Aujourd’hui, les clientes sont beaucoup plus nombreuses que dans les années 1960 et 1970», affirme Didier Grumbach, président de la Fédération française de la couture, du prêt-à-porter, des couturiers et des créateurs de mode. «Il s’agit d’une clientèle qui recherche une certaine exclusivité et qui a des besoins de représentation exceptionnels, par exemple des gens qui ont des rôles d’ambassadeurs, d’officiels, qui sont princes ou princesses… », déclare de son côté Virginie Vincens.

Qui sont les «petites mains»?

Brodeurs, plumassiers, gantiers, chapeliers… Ce sont eux qui façonnent finement les précieuses tenues haute couture. Sans ces aristocrates de l’artisanat (magnifiquement mis en lumière dans le documentaire Signé Chanel, de Loïc Prigent), dont le savoir est transmis de génération en génération, l’industrie ne survivrait pas. Or, certains de leurs métiers se meurent, faute de relève… Pour assurer leur avenir, Chanel a fondé en 2002 la filiale Paraffection, qui a depuis racheté le brodeur Lesage, le bottier Massaro, le chapelier Maison Michel… L’industrie du luxe a encore de beaux jours devant elle!

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La Haute Couture en chiffre

40 Le total des brodeuses employées par la célèbre maison de broderie Lesage.

100 millions La quantité de paillettes utilisées chaque année par Lesage.

4 Le nombre de mois nécessaires à la réalisation d’une robe Valentino.

1000 Les heures de travail que demande la confection d’un ensemble Armani Privé.

5000 Le nombre de cercles de tulle posés un à un sur une robe Dior collection 2014.

90 Le nombre de minutes requises pour réaliser à la main un camélia en organdi de Chanel. Chaque année, les couturières-plumassières de la maison en fabriquent 30 000.

(Chiffres tirés de Haute, journal édité par la Chambre syndicale de la haute couture (modeaparis.com/fr), et de lemonde.fr)

Photo: L’atelier de couture Givenchy

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