Dès ses premiers jours, l’année 2020 annonçait des mois difficiles. Quelques semaines auront suffi pour faire de l’épidémie de Covid-19 une véritable pandémie, plaçant la planète dans l’incertitude pour longtemps. Après un confinement de plusieurs semaines, le monde a sorti la tête de l’eau, tentant de retrouver un semblant de normalité. Une tâche difficile alors que tous les jours, aux quatre coins du globe, des milliers de personnes continuent de perdre la vie face au coronavirus. Alors lorsqu’il a fallu prendre une décision quant aux différentes Fashion Weeks de septembre, qui ont lieu traditionnellement à New York, Londres, Milan et Paris, la situation s’est avérée complexe. D’une part, parce que parler de mode alors que la planète traverse l’une des crises les plus importantes de l’Histoire contemporaine, ce n’est pas facile. La peur de paraître futile et insensible face aux malheurs des autres est grande. De l’autre, parce que réunir plusieurs dizaines, voire centaines, d’individus regroupés au sein d’un même lieu en pleine pandémie, ce n’est pas forcément recommandé. Mais la mode, c’est aussi l’une des économies les plus importantes de notre société, des millions d’emplois à travers le monde. Que fallait-il faire ?

À New York, la question ne s’est pas posée très longtemps. Avec plus de 200 000 décès dus au Covid-19, les États-Unis arrivent en tête des pays les plus touchés par la maladie. Une Fashion Week comme on avait l’habitude d’en voir dans le « monde d’avant » n’était donc pas envisageable. Seuls deux défilés ont eu lieu en présentiel, avec très peu d’invités et des mesures de sécurités renforcées. Même son de cloche la semaine suivante à Londres, la capitale britannique privilégiant des présentations digitales ou des événements en très petits comités. À Milan, l’ambiance était tout autre. Au total, la capitale de la mode italienne comptabilisait vingt-huit défilés physiques et quelques présentations en ligne. Un exploit que certains ont peut-être vu d’un mauvais œil, mais que les maisons de luxe semblent expliquer par une inébranlable envie de vivre, de construire le « monde d’après ».

« Le monde a changé et nous avons changé », a affirmé Donatella Versace au « Vogue » américain. « Je voulais faire quelque chose de disruptif et enfreindre les règles puisque de mon point de vue ce qui a fonctionné il y a quelques mois, n’a plus aucun sens aujourd’hui ». Bienvenue à Versacepolis, ville imaginaire pensée par la créatrice italienne comme un décor de vestiges d’une cité sous-marine à l’image d’une Atlantide, avec des colonnes immaculées et sculptures d’un autre temps éparpillées de ci et là. Un lieu fascinant, qui voit déambuler des mannequins aux origines et morphologies différentes. Parmi elles, Irina Shayk, Adut Akech, Jill Kortleve, Alava Claire, Precious Lee, Imaan Hammam, Joan Smalls ou encore Kayako Higuchi.

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The journey to Versacepolis: Medusa was once the most beautiful woman in Athens. Her charms did not go unnoticed by Athena however, who scolded and banished Medusa in a jealous rage. The charismatic Gorgon now dwells in Versacepolis – a utopian settlement created on the seabed and populated by strong and confident men and women. She reigns there with courage and strength. Over eighty percent of the ocean is completely unmapped and unexplored. A far greater percentage of the moon’s surfaces have been studied and recorded than the ocean floor has. The deep blue waters remain a mystery. Today, Donatella Versace transports us underwater to Versacepolis to unveil the Spring-Summer 2021 Collection. As the world resiliently adapts to the new normal, this sub-surface show setting is an opportunity for the Versace community to indulge in a little fantasy and dive headfirst into a dreamscape. Is dreaming escapism? Is it ignoring the truth of our current reality? Perhaps the dream is fictional, but the process of dreaming is both human and undeniably real. Versacepolis is where mythology meets the reality of the unknown. The water can be rough, but it can also cleanse, soothe and refresh. “I wanted to create something disruptive, something that could be in tune with what has changed inside all of us. To me that meant dreaming of a new world. A world made of popping colors and fantastic creatures and a world in which we can all coexist peacefully. This collection has an upbeat soul and is optimistic, dreamy, positive… These are clothes that bring you joy.” – Donatella Versace This whole collection is disruptive in its vibrancy. The color palette is exuberant. The prints are zesty and bold. There’s skin on show in an ode to signature Versace sensuality. The nature, athleticism, seduction and fantasy combine in a melting pot of life’s joys. At the center of this collection is an empowered attitude that looks to the future with optimism and hope. All members of the audience are Versace employees that have undergone a Covid-19 test producing a negative result. Find out more here: http://e-versace.com/ss21

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Alors que la semaine de la mode milanaise est très régulièrement pointée du doigt pour son manque d’inclusivité, Versace montre l’exemple. « C’est un moment tellement historique et je ne peux pas croire qu’il se soit réellement produit. Je tremble toujours. Je suis si fière de nous Alva Claire, Precious Lee. C’est incroyable de collaborer avec des marques pour lesquelles j’ai toujours rêvé de travailler. J’espère qu’on est en train d’ouvrir les portes à une nouvelle génération qui partage les mêmes rêves mais qu’on ne voyait auparavant jamais dans les magazines ou les publicités », s’est exprimé le mannequin dit plus-size Jill Kortleve, sur son compte Instagram.

Si la créatrice va de l’avant, ce défilé est aussi l’occasion de rendre hommage à l’héritage de la maison, notamment en retravaillant l’imprimé « Trésors de la mer », créé par son frère Gianni dans les années 90. Sexy et colorée, la collection est pour la première fois dévoilée face aux employés de la marque de luxe, venus remplacer le public habituel sur les bancs du défilé.

Défilé le plus attendu de la Fashion Week milanaise, Prada dévoilait la première collection co-créée par Miuccia Prada et Raf Simons. Au programme : un show digital de treize minutes, sans public, qui sonne comme un retour aux sources pour la maison italienne. Le nylon, matière signature de la griffe de luxe, continue de se griffer sur des mini-jupes et pantalons droits, tandis que des jupes midi plissées et des jupes et robes en satin de soie se portent avec des trenchs et pulls col V. Des pièces qui n’ont apriori rien d’innovant et c’est tant mieux. « L’idée de nouveauté est le cauchemar de chaque designer ou du moins l’a toujours été pour moi. Je pense que ce n’est probablement plus aussi pertinent aujourd’hui, le nouveau pour faire du nouveau ne semble pas être le plus important » explique Miuccia Prada dans une discussion avec Raf Simons retransmis en direct après le show.

Des propos qui trouvent écho dans ceux du documentaire consacré au créateur Giorgio Armani, que la maison éponyme a diffusé peu de temps avant le défilé. « La mode est à l’image du monde dans lequel elle évolue. Elle a le pouvoir d’anticiper les changements et évolutions de notre société », peut-on entendre aux débuts du film de treize minutes. Résultat : le show dévoile des costumes aux coupes réfléchies et à l’allure intemporelle à porter en toutes circonstances.

Pour d’autres, l’heure est à la désacralisation de la mode. Francesco Risso, le créateur discret qui se cache derrière le label Marni, a demandé à 48 personnes des quatre coins du globe de porter les pièces de sa nouvelle collection à leur façon. Elle prend vie dans les transports en commun à New York, en confinement à Londres, sur un parking à Tokyo… une façon de montrer que la mode est destinée à la « vraie vie » et non à vivre quelques minutes sur un podium. « Ne revenons pas à la normale, remodelons le modèle, le lieu, le spectacle », demande le designer dans un manifeste.

En cette période incertaine, certains créateurs profitent quant à eux de la Fashion Week pour déclarer leur flamme à leur pays d’origine. Donnant le coup d’envoi de la semaine de la mode italienne, Fendi a dépeint une garde-robe libre aux tons neutres et aux jeux de textures romantiques, mise en valeur par une mise en scène immaculée et aérienne. Un show inspiré des instants passés en famille à Rome de la directrice artistique Silvia Venturini Fendi, et très attendu puisqu’il s’agit de son dernier défilé avant l’arrivée de Kim Jones.

Chez Valentino, c’est un véritable retour aux sources mis en place par Pierpaolo Piccioli, directeur artistique de la maison. En 1975, Valentino Garavani, alors le couturier le plus adulé de Rome, délaisse l’Italie et fait ses valises pour Paris. Depuis, la marque de luxe présente ses nouvelles collection haute couture et prêt-à-porter chaque saison dans la ville lumière. En pleine pandémie, son héritier rentre à Milan pour crier son soutien à son pays natal. Loin de l’opulence de l’hôtel Salomon de Rothschild à Paris, dans lequel Valentino a l’habitude de présenter ses nouvelles collections, la griffe de luxe a pris ses quartiers dans un entrepôt milanais. Dans un jardin de 34 espèces différentes de plantes, les mannequins ont déambulé dans des pièces faciles à porter et à associer. Une chemise en popeline rose oversize, un cardigan en dentelle noire, un short ajusté porté avec un blazer décontracté ou encore des jeans délavés fabriqués en collaboration avec Levi’s et uniquement des chaussures plates. On ne sait pas à quoi ressemblera le monde d’après, mais la mode en donne déjà une jolie vision.

Cet article est d’abord paru sur elle.fr.

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