Aux États-Unis seulement, on estime que 12 millions de tonnes (!) de meubles et d’accessoires pour la maison sont jetés chaque année. On en recycle une infime partie, alors c’est près de 9 millions de tonnes de plastique, de métal, de tissu, de mousse, de verre et de bois qui se retrouvent au dépotoir. Un véritable désastre écologique. À qui la faute?

Le mobilier issu de la tendance fast-furniture n’est pas fait pour durer. Exit la table en bois de chêne qu’on se passe de génération en génération! À l’ère d’Instagram, on veut que notre décor nous ressemble et qu’il s’accorde aux tendances… sans qu’on ait à payer le gros prix. Le principe ressemble fortement à celui de la fast-fashion: des designers ont une idée, puis ils vendent leurs créations haut de gamme à une élite fortunée. Sur les réseaux sociaux, le commun des mortels voit les mêmes designs, il les convoite, sans avoir les moyens de les acheter. Les commerçants en produisent donc des versions de masse, au look similaire, mais dont la qualité et l’éthique de production sont très différentes. Pour offrir ces meubles à un prix modique, les fabricants utilisent des matériaux de très mauvaise qualité, parfois dangereux pour la santé, et font assembler les pièces en Chine ou au Vietnam, où les salaires sont très bas et où la réglementation de travail est peu sévère. Puis, grâce à Internet, ces meubles et ces accessoires sont facilement commandés du bout du doigt et livrés partout sur la planète, faisant exploser leur empreinte carbone. Et le cycle recommence dès qu’un nouveau design fait son entrée sur le marché! On jette, on remplace et on recommence.

«On a perdu le sens de la valeur véritable d’un meuble», dit Thien Ta Trung, cofondateur de l’entreprise montréalaise Élément de base, qui se spécialise dans le mobilier évolutif durable, conçu localement et produit de façon responsable. Quand je vois des lits à 250 $ sur le web, je ne comprends tout simplement pas. Impossible, à ce prix, que le fabricant fasse du profit, à moins que ses pièces soient faites en carton», lance-t-il à la blague. Sa plaisanterie n’est pas si loin de la réalité, car pour réduire les coûts de transport, plusieurs entreprises se tournent vers des matériaux comme le panneau de particules (ou LDF), léger, mais de très mauvaise qualité.

Pourquoi, alors, les gens choisissent-ils ces versions en papier mâché, souvent inconfortables, plutôt que des meubles conçus pour résister à l’usure du temps? La réponse est complexe. Tout d’abord, évidemment, le prix est plus qu’alléchant! C’est sur cette variable que misent les géants de l’industrie. «C’est difficile de faire un choix éclairé quand on pense seulement au prix d’un article», disent Catherine et Philippe, fondateurs de la société québécoise de meubles en bois massif Woodstock & cie. «C’est pourquoi, de notre côté, on ne fait pas de solde d’après-Noël ou de rabais du Vendredi noir: on veut que nos clients fassent leurs devoirs et qu’ils choisissent l’un de nos meubles parce qu’ils sont fabriqués selon leurs valeurs, localement et éthiquement. Pas parce qu’ils ont 48 heures top chrono pour profiter d’un rabais de fou!» Selon ces entrepreneurs, pour faire des achats responsables, on commence par prendre son temps et on réfléchit avant de sortir son portefeuille. «Pour nous, l’incitatif premier à un achat ne devrait jamais être le prix.» Catherine et Philippe essaient toutefois de vendre leurs créations à un juste prix, notamment en ne traitant pas avec des intermédiaires. «On se charge de tout, du design jusqu’à la livraison.»

Même son de cloche à Élément de base, qui ne possède pas de magasin physique. «Les gens peuvent passer directement à notre entrepôt, qui nous sert de salle d’exposition, explique Thien Ta Trung. Puis, ils achètent sur place ou en ligne. Ça nous permet de maintenir nos prix plus bas.» Les nouveaux acteurs de l’industrie tentent donc de s’adapter à la réalité de leur clientèle cible, qui dépense moins en mobilier que par le passé.

Élément de base

Élément de baseÉlément de base

Élément de base propose un mobilier durable.

Élément de base

Élément de baseÉlément de base

Un avenir incertain

Les consommateurs ne sont pas simplement plus avares qu’auparavant: c’est que la situation a changé. Les jeunes adultes sont peu nombreux à devenir propriétaires, car le marché immobilier est de moins en moins accessible, surtout dans les grands centres. Ils restent donc locataires longtemps, voire pour toujours. Les emplois permanents, stables et bien rémunérés se font rares. Les dettes s’accumulent. L’avenir est incertain. Investir plusieurs milliers de dollars dans un immense canapé en cuir difficile à déménager, aussi durable soit-il, quand on ne sait pas où on se trouvera dans quelques années, tant physiquement que financièrement, n’est pas une solution viable aux yeux de la plupart des gens des générations X et Z, et des millénariaux. Les consommateurs se tournent donc vers des options peu coûteuses. Lorsque vient le temps de changer de nid, ils recommencent à neuf, plutôt que de déplacer à gros prix un mobilier lourd.

«Lorsqu’on fait affaire avec des géants de l’industrie, il est aussi presque impossible de réparer un meuble si une pièce casse. On le jette, on en achète un autre. C’est plus facile ainsi! Mais quand on s’adresse à un artisan local, il est beaucoup plus aisé de réparer un meuble, voire de lui donner une seconde vie. Il existe une proximité avec le fabricant qui vaut son pesant d’or», fait remarquer Thien Ta Trung, d’Élément de base, qui propose d’ailleurs des housses de canapé et des dessus de table interchangeables, ce qui permet de changer de décor à moindre coût – financier comme écologique.

Woodstock & cie

Woodstock & cieWoodstock & cie

Woodstock & cie, une entreprise locale, propose une solution de rechange écoresponsable.

Woodstock & cie

Woodstock & cieWoodstock & cie

À la vue de tous!

Instagram joue également un rôle dans cette nouvelle manière de consommer. «Notre décor a toujours été une façon de montrer notre personnalité», dit Hannah Martin, journaliste principale en design au Architectural Digest, dans un article pour Outline, «mais aujourd’hui, notre vie privée est… publique! On met notre joli décor au premier plan de nos selfies, de nos publications. C’est un prolongement de notre sens du style, de notre garde-robe.» Les tendances – bien qu’elles aient toujours été présentes en design intérieur – se succèdent rapidement, et les gens consomment à la vitesse grand V pour tenter de suivre le rythme.

On entend de plus en plus parler de l’industrie de la fast-fashion et de ses effets néfastes tant sur les employés des usines de fabrication que sur la santé de la planète. Mais les méfaits de la tendance fast-furniture restent relativement méconnus. Ainsi, alors que, dans l’industrie de la mode, on commence tranquillement à proposer des options plus vertes au plus grand nombre, l’offre écoresponsable pour les meubles vise, elle, encore presque uniquement les gens fortunés. De surcroît, la transparence le long de la chaîne d’approvisionnement et du processus de fabrication est un concept encore trop peu populaire chez les manufacturiers de meubles. Difficile, alors, de faire un achat réellement éclairé!

«Heureusement, on a remarqué un intérêt grandissant de la part des consommateurs pour les meubles fabriqués de manière responsable, affirment Catherine et Philippe, de Woodstock & cie. Ils sont investis dans le processus de sélection et de fabrication, et sont fiers de leur achat, même s’il est plus cher. Ils achètent non seulement un beau meuble qui encourage l’économie locale, mais aussi une identité, une marque, qui colle à leur façon de voir le monde, et d’entrevoir l’avenir.»

Des solutions à moindre coût

Pour certains, acheter neuf et local est une utopie. Les meubles fabriqués au Québec par des artisans d’ici valent chacun des sous qu’on y investit, mais ils coûtent quand même… beaucoup de sous! Comment faire, alors, pour transformer notre décor de façon responsable si on a un petit budget? Alexandra Cherot-Dalle, designer d’intérieur qui se spécialise dans les décors écoresponsables et fondatrice de Raw Space Design, nous donne ses trucs de pro.

1. Ne pas acheter

«Le mieux pour l’environnement, c’est simplement… de ne pas acheter! Avant de cliquer sur “ajouter au panier”, il est important de se demander si notre achat va vraiment nous servir, et si on ne devrait pas plutôt donner un second souffle à un objet qu’on possède déjà. On peut aussi demander aux membres de notre famille et à nos amis s’ils n’auraient pas l’article qu’on désire et s’ils seraient prêts à s’en débarrasser. Il y a des trésors qui dorment dans les garages et les greniers des gens dans notre entourage!»

2. Un coup de peinture

«Lorsqu’on a du cœur à l’ouvrage pour remettre à neuf – ou à notre goût – un meuble qu’on a déjà, ou qu’on a déniché quelque part, un fort sentiment de fierté nous envahit. Résultat: on fait plus attention à notre mobilier, pour lequel on a travaillé fort. Finalement, faire preuve de créativité, c’est payant, pour nous et pour la Terre!»

3. Une mini-coop de DIY

«Pour retaper des meubles de la bonne manière, il faut des outils. Mais comme on n’utilise pas une ponceuse ou une scie ronde tous les jours, on peut les louer, les emprunter, ou encore les acheter en groupe! Économique, pratique, et bon pour la planète.»

4. Vive les produits d’occasion!

«Avec Kijiji ou encore Marketplace, il est plus aisé que jamais de faire des trouvailles à très bas prix. Et ce sont aussi de formidables plateformes pour vendre ou donner des objets qui ne nous servent plus! Il existe aussi bon nombre de bazars et d’antiquaires, en ville comme à la campagne, chez lesquels on peut aller fouiner. Une façon de faire d’une pierre deux coups: on trouve des meubles solides, originaux et à une fraction du prix, en plus d’encourager l’économie locale.»

5. Faire ses devoirs

«Lorsqu’on achète du neuf, on fait au préalable des recherches, et pas seulement sur le prix! On prend note des matériaux utilisés, du lieu de fabrication, des valeurs que semble véhiculer l’entreprise. Et on s’assure que notre choix final sera durable et polyvalent. Le but, c’est de garder notre acquisition longtemps; alors, on consomme intelligemment!»


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