Les images qui « popent » à l’évocation de la chaux — chaumières méditerranéennes aux arêtes adoucies, villas santoriniennes reliées en chapelets crayeux, zaouïas maghrébines coiffées d’un dôme mystique — sont toujours hypercharmeuses. Dans notre imaginaire (ou dans nos souvenirs), on voit des maisonnettes anciennes dont le cachet rural repose sur leur forme et leur texture, qui portent la trace de celui qui les a façonnées à petits coups de truelle. Avec sa patine à mille lieues des finis lisses mécanisés, la chaux est à la fois pureté et imperfections, souplesse et douceur. Elle est lumière.

Pour que cette matière fasse une percée de ce côté de l’Atlantique, il a fallu du temps. Il a surtout fallu le savoir-faire dont elle est tributaire. Mais ça y est: la cote d’amour de la chaux monte en flèche dans notre pays de neige. Nous avons rencontré Helios Nadal, un pur travailleur des produits de la terre, l’un des rares au pays à bien connaître la matière et à maîtriser ses applications. Avec son fort et bel accent caractéristique du sud de l’Hexagone, il a répondu à nos questions.

La chaux, au juste, c’est quoi ?

«Essentiellement, explique Helios, c’est du calcaire, une roche sédimentaire qui se trouve en abondance dans la constitution superficielle de la croûte terrestre. Une fois extraite de carrières et cuite à 900 °C (par analogie, on cuit la porcelaine à 1100 °C et le grès à 1300 °C), la pierre ainsi chauffée devient chaux “vive”. Pour être utilisée en maçonnerie ou en peinture, elle doit être “éteinte” au contact de l’eau. Une fois hydratée, elle se transforme en chaux dite “aérienne”. Combinée à du sable, des pigments et de l’eau, elle produit tout un éventail d’enduits — mortier, stuc, etc. » 

En gros : le calcaire est le cru, une matière naturelle à 100 %, tandis que la chaux est le cuit, un produit transformé ?

« Oui. Ceci dit, la magie avec les produits dérivés du calcaire, c’est qu’ils ont la faculté unique de reprendre leur forme initiale au contact du dioxyde de carbone contenu dans l’atmosphère. La chaux éteinte peut donc, avec le temps, être reconvertie en calcaire. Le temps requis à la chaux pour retourner à son état originel peut se chiffrer en années lorsque laissée aux conditions atmosphériques, mais les procédés industriels permettent aujourd’hui de le faire en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. »

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La chaux : un matériau utilisé depuis la nuit des temps…

« Dans l’évolution du patrimoine bâti, le calcaire a assurément joué un rôle primordial. Sans lui, pas de Panthéon romain, pas de cathédrales gothiques, pas de Grande Muraille de Chine et pas de pyramide de Khéops, cette septième merveille du monde construite par les Égyptiens il y a plus de 4500 ans. En permettant le durcissement des premiers mortiers de l’histoire, le cycle de continuité de la chaux a été déterminant dans le développement de l’architecture. »

Existe-t-il d’autres types de chaux que la chaux vive et éteinte ?

« Il existe aussi une chaux dite « hydraulique », produite à partir de roches composées d’une proportion plus ou moins importante d’argile et cuite à des températures plus élevées (1350 °C). Plus elle est chargée en argile, plus la chaux tend vers le gris et moins sa plastique est malléable. On la destine essentiellement aux travaux de maçonnerie. »

«« La chaux a le pouvoir de donner du caractère, de la rusticité et de la lumière à un espace. »»

Quels sont les principaux attraits de la chaux ?

« Ils sont nombreux. La chaux est ignifuge, perméable à l’air et imperméable à l’eau. Elle protège les murs des intempéries tout en les laissant respirer. Elle favorise les échanges hygrométriques et, ce faisant, elle rehausse le confort intérieur et permet de faire des économies d’énergie. Ses vertus isolantes, aussi bien phoniques que thermiques, sont depuis longtemps reconnues et elles peuvent être améliorées par l’ajout de particules de lin ou de chanvre. La chaux a aussi des vertus bactéricides, antiparasitaires et antiseptiques, elle prévient la prolifération de moisissures. C’est pour ces raisons que l’on peut observer des troncs d’oliviers ou de palmiers recouverts d’un lait de chaux. Autre particularité de cette matière : elle s’adapte avec souplesse aux mouvements du bâti et aux différents supports sans les altérer. Elle est malléable, résistante, et elle vieillit bien, à l’intérieur comme à l’extérieur. On le sait peu, mais si on la mélange à des pigments naturels, le spectre de sa palette de tons est riche. » 

La chaux est-elle une matière écologique ?

« Plutôt, oui, car même si sa production est énergivore (elle l’est toutefois beaucoup moins que pour le ciment), elle ne génère pas d’émanations toxiques — elle est exempte de solvants — et elle joue un rôle de puits de carbone en piégeant une quantité importante de CO2. Sous forme de peinture, elle est clairement moins allergène que les produits classiques du marché. »

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Quelles sont les applications de la chaux ?

La chaux est indispensable dans notre société de consommation. Elle est utilisée pour purifier l’eau, pour produire du verre, du sucre, du papier, du cuir, etc. En construction, il s’agit d’un liant qui peut intervenir sous forme de mortier à partir de la fondation d’un édifice jusqu’à la fixation des couvertures, en passant par le montage de la maçonnerie et la pose du carrelage. La chaux n’a pas son pareil pour répartir la pression entre les pierres, mais on l’utilise beaucoup ici pour enduire les murs intérieurs (avec un fini plutôt mat ou satiné, lissé ou stuqué, grené ou peigné) et extérieurs (la matière peut être écrasée, jetée, grattée, épongée ou encore lissée) afin de leur conférer une patine. Ces enduits apportent une rusticité et une luminosité aux murs, mais aussi une chaleur. »

Trouve-t-on ici des artisans qualifiés, et le DIY est-il une option ?

« Nous sommes assez peu de travailleurs expérimentés, mais une petite société d’artisans émerge et se construit. À bon entendeur, je suis à une étape de ma vie qui favorise la passion de mon savoir. Chose certaine, on ne s’improvise pas à travailler cette matière quand on n’y connaît rien, car de mauvais procédés d’application et des recettes erronées sont coûteux en temps et en argent. »

Parlant d’argent, on s’attend à quoi en termes de coûts ?

« Selon le type d’interventions, le prix varie considérablement. Il s’échelonne entre 7 et 35 $ le pied carré. »

Pour en savoir plus sur Hélios Nadal et sur la chaux, c’est par ici

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