Imaginez-vous marchant en plein cœur d’une forêt ténébreuse ou baignée de lumière, rafraîchie après l’ondée ou réchauffée par le soleil, tout près ou à l’autre bout du monde… Puis, respirez les odeurs végétales, mêlées de mousse, de résine, d’aiguilles de conifères, de terre humide, de branches sèches ou brûlées, suspendues dans l’air. Et vous aurez capté l’essence même de la famille olfactive des boisés. Ses matières premières de prédilection? Le vétiver, le bois de santal, le patchouli, le cèdre, le pin, le cyprès, le bois de gaïac, le figuier, l’oud, qui, travaillés depuis toujours en notes de fond, apportent structure, caractère et tenue à un parfum. Certes, au cours des ans, des compositions cultes, dont Bois des Îles, de Chanel, Samsara, de Guerlain, et Féminité du bois, de Serge Lutens, ont joué à fond les boisés pour femmes, mais le mouvement est resté timide. Puis, il y a bien eu quelques coups d’éclat, qu’on pense à Dolce Vita, de Dior, à Miu Miu, de Prada, et à Women, de Calvin Klein. Mais cet automne, les boisés occupent le devant de la scène, tant du côté des parfumeurs confidentiels que des grandes maisons. «À mon sens, les boisés sont d’une richesse infinie», dit Isabelle Michaud, parfumeuse et fondatrice montréalaise de Monsillage. «Leur vibration peut être chaude, crémeuse, résineuse, voire terreuse, mais aussi fraîche et transparente. C’est ce qui fait leur grande beauté», ajoute la créatrice d’Eau de Céleri, où le vétiver scintille. Une vision que partage le parfumeur français Barnabé Fillion, à l’origine de nouvelles créations pour Aesop: «Les boisés comptent parmi mes matières préférées. Ils apportent de la texture et de la profondeur aux assemblages, en plus de bien dialoguer avec les autres matières, qu’ils subliment.» Qu’en dit Delphine Jelk, parfumeuse chez Guerlain, à qui l’on doit Santal Pao Rosa, un nouveau floral boisé grisant? «Il n’y a rien de tel qu’un bois d’exception pour déclencher des sensations fortes, des partages contrastés! Dans ma dernière création, le santal, ce bois indien précieux, met en lumière la rose d’une façon charnelle, totalement inattendue. Elle l’enracine et lui apporte la puissance crémeuse dont je rêvais.»

C’est mon genre

Autre signe particulier des boisés, traditionnellement réservés aux hommes: ils font dorénavant fi des genres, et sont prisés par tous ceux et celles qui sont en quête d’un sillage singulier et plutôt affirmé. «La prédominance de facettes boisées dans une composition enrichit la dimension féminine de la personne qui le porte, fait valoir Isabelle Michaud. Peut-être en raison de la juxtaposition des codes masculins-féminins… Chose certaine, leur présence nous entraîne vraiment ailleurs.» Au cœur de la nature, par exemple? «Absolument! affirme la parfumeuse. Un seul effluve de vétiver ou de pin, et on a un pied dans la nature, le vrai et le vivant.» Rien que d’y penser, ça fait un bien fou. Et c’est sans doute cette profonde naturalité qui explique le retour béni des boisés, en ces temps flous où on a tant besoin de réconfort. Comme l’illustre si justement Barnabé Fillion, «Une odeur crée un monde à la fois bien réel et imaginaire à l’intérieur de notre monde. C’est aussi une fenêtre ouverte sur la nature, qui nous invite au dialogue avec ce qui nous entoure et auquel on ne prête plus attention.» Oui, les boisés ont cet étrange pouvoir d’apaisement et de renouvellement de notre regard, en plus de nous proposer une signature olfactive unique, qui nous colle à la peau. De quoi nous donner envie de nous chauffer de ce bois-là.