Maquillage
Gros plan sur des entreprises pour lesquelles la beauté n’a pas de genre
L’industrie la beauté prend graduellement un tournant inclusif (enfin!), qui se manifeste, entre autres, par l’émergence de marques non genrées (gender neutral). Exploration de l’importance de ce courant de plus en plus présent.
par : Mariève Inoue- 02 juin 2020
Getty Images (mannequin)
Beauté universelle
Quiconque se sent légèrement exclu des critères de beauté de la société sait bien que le marketing des cosmétiques s’adresse à quelqu’un de précis: une femme blanche, mince, cisgenre et hétérosexuelle. Mais l’acceptation de soi (et de l’autre!) fait peu à peu son chemin, et l’industrie de la beauté tient compte d’une plus grande diversité de gens, qu’il s’agisse du type de silhouette, d’ethnicité ou d’âge; on voit d’ailleurs de plus en plus d’hommes, de personnes non binaires ou transgenres dans les publicités. Et les marques qui offrent des soins pour la peau, du maquillage et des fragrances gender neutral – ou qui s’adressent à tous, peu importe leur genre – y sont pour beaucoup: des petits pots formulés pour prendre soin de notre épiderme en toute simplicité, des fards ou d’autres cosmétiques élaborés pour qui a envie de s’amuser, des parfums concoctés pour une ambiance ou un état d’esprit au lieu d’un genre… Cette nouvelle façon d’aborder la beauté a un effet libérateur. «Nous voulons prouver qu’il est possible d’utiliser le maquillage comme outil de création et d’expérimentation en laissant de côté les perceptions traditionnelles à son sujet», explique Laura Kraber, cofondatrice et PDG de Fluide, une entreprise de maquillage «sans cruauté pour toutes les expressions et les identités de genre, ni les carnations».
Au-delà de l’image
En 2020, il serait normal de penser que le maquillage et les produits de soins ne s’adressent pas qu’aux femmes, mais cette idée est loin d’être répandue. «Quand j’ai commencé à faire des vidéos sur YouTube il y a une dizaine d’années, je ne voyais aucun homme se maquiller», se rappelle l’artiste maquilleur professionnel Jean-François Casselman-Dupont, qui a amorcé sa carrière en publiant des tutoriels beauté sur cette populaire plateforme de vidéos. «J’ai grandi en ayant une idée très limitée de ce qu’étaient le maquillage et les normes de beauté», confie pour sa part Max Jack-Monroe, candidat à la maîtrise en enseignement de langues secondes avec option en études sur les femmes et le genre à l’Université McGill. «Ça a changé un peu depuis qu’une diversité accrue de modèles est présentée dans les médias, ce qui a aussi fait évoluer ma perception du maquillage et de son importance pour certaines personnes», ajoute l’artiste drag au genre fluide. Pour la communauté queer et les personnes non binaires ou transgenres, le fait d’être de plus en plus considérées et représentées dans l’industrie de la beauté a une valeur inestimable: «Si on ne voit personne qui nous ressemble à la télévision ou dans les publicités, on a toujours un doute sur notre légitimité dans la société», estime Jean- François Casselman-Dupont. De manière plus concrète, le fait de promouvoir des cosmétiques accessibles à tous permet aussi à bien des gens «d’être plus à l’aise d’acheter des produits à la pharmacie ou au magasin sans avoir l’impression d’être jugés», indique Max Jack-Monroe. Oui, la diversité est davantage mise de l’avant dans les campagnes publicitaires et les réseaux sociaux de plusieurs entreprises. Et certaines marques vont encore plus loin en offrant carrément des produits neutres en matière de genre – c’est-à-dire non conçus spécifiquement pour les hommes ou pour les femmes – et en collaborant avec des personnes encore trop peu représentées sur ce plan dans l’industrie de la beauté. «Dans notre entreprise, Fluide, nous faisons appel à des mannequins qui sont non binaires et qui font partie de la communauté LGBTQ+ pour nos campagnes et sur notre site web; de plus, nous travaillons avec les gens de cette communauté qui sont sous-représentés derrière la caméra, comme ceux qui s’occupent de la direction artistique, de la photographie, du stylisme, du maquillage et de la rédaction», révèle Laura Kraber.
ELLE aime
Ces marques se distinguent autant par leur démarche engagée et novatrice que par la qualité exceptionnelle de leurs produits.
Originaire de Québec, Savan offre des soins susceptibles de plaire à tous, peu importe leur âge ou leur genre.
@savanskincare
On adopte Fluide pour son maquillage sans cruauté, ses produits ultra-polyvalents et son approche non traditionnelle de la beauté.
@fluidebeauty
Fragrances, bougies parfumées, soins pour le corps, le visage et les cheveux… La marque new-yorkaise Malin+Goetz allie des formules efficaces à un design épuré.
@malinandgoetz
Adorée pour ses soins novateurs et son engagement auprès d’une multitude de causes sociales, Lush est une marque inclusive sur bien des plans.
@lushcosmetics
Créer librement
En quoi tout cela influence-t-il l’élaboration des produits eux-mêmes? «Créer des produits non genrés permet d’oublier les cadres et les stéréotypes: il n’y a donc aucune limite à la créativité!» s’exclame Brandi Halls, directrice de la marque Lush Cosmétiques en Amérique du Nord. Pour ce qui est des formules, l’entreprise choisit les ingrédients en se concentrant davantage sur leurs bienfaits, plutôt que sur les normes établies pour le marketing des produits genrés: «La lavande, par exemple, équilibre la production de sébum, alors on l’ajoute dans un shampooing pour cheveux gras, tandis que la rose, qui calme les rougeurs, est idéale dans une crème apaisante pour le visage», explique-t-elle. En ce qui a trait aux noms des produits, les labels gender neutral misent sur des appellations simples ou ludiques, et s’assurent de garder un langage neutre et inclusif. Le nom de certaines concoctions ou de nuances, chez Fluide, est même associé à des termes propres à la communauté LGBTQ+ (le gloss Spectrum ou le coffret Pride Trio, par exemple).
Une question de temps
Pourquoi les cosmétiques non genrés gagnent-ils en popularité maintenant? «Parce qu’au-delà de l’identité de genre, il y a l’individu, qui, dans l’évolution de notre société, se sent de plus en plus libre d’exprimer son unicité, répond Brandi Halls. Les marques de cosmétiques non genrés l’ont compris: l’inclusivité est la juste façon de faire.» Pour sa part, Max Jack-Monroe est d’avis que les réseaux sociaux ont joué un rôle important dans la prise de conscience du public des identités différentes: «En élaborant un marketing nouveau et en faisant rayonner des gens comme moi, les marques gender neutral bousculent les codes établis par les gros acteurs, qui monopolisaient le marché.» Certes, des entreprises comme Lush et Aesop ouvrent la voie à de nouveaux labels non genrés, mais d’autres sociétés semblent suivre le courant seulement pour être «à la mode». «Je crois que certaines marques sentent une pression à parler d’inclusion en ce moment, mais pour l’aspect financier de la chose», signale Jean-François Casselman-Dupont. Heureusement, l’engagement de la majorité des acteurs – gros comme petits – va au-delà de la tendance. Par exemple, Lush milite activement pour les droits des personnes trans, que ce soit par sa campagne Trans Rights are Human Rights en 2018 ou par les nombreux articles qu’elle publie sur son site, qui expliquent comment être un meilleur allié de ces personnes. Quant à Fluide, elle donne souvent de ses produits lors de soirées-bénéfice et d’événements qui viennent en aide aux organisations LGBTQ+.
Repenser la beauté
La présence grandissante de labels non genrés sur le marché nous pousse à remettre en question nos idées pré- conçues et à revoir notre rapport à l’esthétique. «Aujourd’hui, les jeunes font le choix d’être eux-mêmes; ils acceptent leurs corps et célèbrent tout ce qui fait d’eux des personnes uniques», affirme Laura Kraber, de Fluide. Un exemple à suivre! À propos de l’avenir de la beauté inclusive, Jean-François Casselman-Dupont croit que le temps nous révélera la vraie motivation des marques. Son souhait? «Tout en continuant de faire miroiter le côté fantaisiste et créatif du maquillage, ce serait intéressant de donner davantage de visibilité à la beauté plus naturelle qu’ont adoptée certaines personnes qui ne s’identifient pas comme des femmes.» De son côté, Brandi Halls estime que «ce mouvement est le reflet de notre époque et qu’il n’est donc pas près de disparaître.» Bonne nouvelle!
Fragrances inspirantes
Lorsqu’on oublie les codes genrés, un tout nouveau monde s’ouvre à nous en parfumerie. La célèbre fragrance CK One, de Calvin Klein, avait causé tout un émoi en 1994 lors de son lancement, devenant au passage le premier parfum unisexe best-seller en Amérique du Nord et ouvrant la porte à une myriade de déclinaisons. Aujourd’hui, un grand éventail de maisons créent des fragrances visant à installer une ambiance ou un état d’esprit particuliers, sans leur associer un genre précis.
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